NAISSANCE DE MARIE

 

 

Notre récit commence en Galilée, dans une bourgade comme il y en a tant appelée Nazareth. Nous sommes en l'an 22 avant Jésus Christ et à Nazareth vivent quelques personnes qu'il faut connaître car, sans qu'elles n'en sachent rien, leurs vies vont peser très lourd dans l'histoire de l'humanité.

 

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A Nazareth comme partout dans le peuple juif, on attend un sauveur, un libérateur, un rédempteur. On attend celui qui, conformément aux nombreux oracles des prophètes, apparaîtra dans la descendance du roi David, mais issu de Dieu lui-même. On attend le Messie, mais personne ne se doute que son environnement familial humain le plus proche est là, bien vivant.

 

Il y a d'abord un saint homme plein de sagesse et de noblesse qui s'appelle Joachim. Il est probablement né vers l'an -77 et a donc environ 55 ans. C'est un descendant lointain du roi David. Ni riche ni pauvre, il vit dignement mais avec beaucoup de simplicité du produit des petites terres qui lui appartiennent.

Joachim est marié. Son épouse s'appelle Anne et lui est parfaitement accordée en matière de vertu, de noblesse et de modestie. Anne est probablement née en -68, dans la descendance du grand prêtre Aaron. Elle a donc maintenant 46 ans. Joachim et Anne sont pleins d'amour l'un pour l'autre. Leur tendresse a gardé toute la fraîcheur resplendissante de leur mariage déjà lointain. Très religieux, d'une pratique chaleureuse, agissante et bienveillante qui force l'estime et l'affection, ils sont entourés de l'amitié et du respect de tous les Nazaréens. Heureux donc, presque totalement.

 

Il faut dire presque, car il y a une ombre dans leur vie de lumière. Ce couple plein d'amour n'a pas d'enfant. C'est leur souffrance cachée, celle dont on ne parle quasiment jamais et qui ternit, un peu , tous les événements de leur vie. Joachim n'en fait pas grief à Anne. Jamais il ne lui a reproché quoi que ce soit. Anne, conformément à la mentalité de cette époque, se sent vaguement coupable de cette stérilité. Ce désir de maternité la fait cruellement souffrir et elle regarde d'un œil de plus en plus résigné les nombreuses marmailles des familles nazaréennes.

 

Un bon garnement lui rend souvent visite. Âgé de 4 ou 5 ans, il reçoit avec joie la tendresse quasi maternelle qu'Anne accompagne de pâtisseries succulentes. Il lui arrive de l'appeler maman Anne... ce qui décuple l'ardeur qu'Anne met à lui confectionner des petites galettes au miel appelées « fouaces ». Ce gosse s'appelle Alphé. C'est également un lointain descendant du roi David, mais à son âge, les fouaces sont plus importantes que la généalogie. Il ne peut pas savoir qu'il sera le papa de deux garçons dont les écrits traverseront les siècles et seront médités par des milliards d'êtres humains. L'un deviendra saint Jacques, premier évêque de Jérusalem et aussi le premier massacré des apôtres de Jésus. L'autre sera l'apôtre Jude… Tous deux seront les cousins de Jésus, ceux que les évangélistes appellent ses frères conformément au vocabulaire de l'époque. Jacques et Jude donc, deux parmi les douze.

 

Pour l'heure, en l'an -22, Alphé savoure souvent d'excellentes fouaces, donne son affection à maman Anne, et visite de temps à autre un grand... de 13 ans ! Ce grand s'appelle Joseph et c'est son oncle. Aux yeux d'Alphé, Joseph a le prestige du jeune adolescent qui sort de l'enfance. Joseph est né vers l'an -35. Il est apprenti menuisier. En ce temps, le menuisier devait être capable de réaliser tout objet en bois ... meubles, portes fenêtres, charpentes, charrettes... Donc Joseph apprend le métier que plus tard, il enseignera à Jésus. Il accueille avec bienveillance ce galopin d'Alphé qui vient visiter son tonton, au milieu de la sciure, des copeaux l'œil curieux et admiratif, le nez séduit par la bonne odeur du bois que l'on  travaille.

 

Leur souffrance, cachée avec beaucoup de pudeur, n'a pas aigri le caractère d'Anne et de Joachim. Tous deux sont de grands saints et n'en savent rien. L'amour de Dieu et leur amour mutuel les comblent, presque. Ils ont trop de sainteté pour ne pas conserver gratitude et confiance en Dieu malgré le presque. Cultivés, ils connaissent parfaitement l'histoire de Sara, Rachel, et bien d'autres femmes glorieuses du peuple juif. Dieu a bien souvent démenti des stérilités affirmées, et à des âges déroutants. Aussi prient-ils avec ferveur et confiance.

 

Quand arrive l'automne -22, ils se rendent à Jérusalem fin septembre à l'occasion de la fête des tabernacles. Comme d'habitude il y a grande foule. Ces pèlerinages traditionnels drainent toute la population d'Israël vers la capital, au moins une fois par an. Anne et Joachim supplient le Seigneur en son temple, avec ténacité, avec tendresse, parfaitement unis dans leur prière, jusqu'à la dernière minute de leur présence à Jérusalem. Puis ils repartent vers Nazareth, calmes et confiants, sûrs que, quoi qu'il arrive, Dieu ne peut faire, dans son total amour , que ce qui est bon et bien pour eux.

 

En Janvier -21, Anne prend conscience qu'il se passe quelque chose d'inhabituel en elle. Certes à son âge, et surtout à cette époque, les signes de la maternité ne pouvaient plus être observés. Mais voilà qu'elle se sent rajeunir, qu'elle reprend dynamisme et vigueur, qu'une paix intérieure très profonde l'envahit avec une plénitude jusqu'alors inconnue. Dans un débordement de bonheur, elle comprend que Dieu a exaucé leur prière. Elle annonce à Joachim, avec une légitime fierté, qu'elle va enfin lui donner un enfant.

 

L'enfant du miracle , Joachim et Anne ne peuvent le savoir , sera une petite fille. Ils l'appelleront Marie. 

 

 

 

En ce mercredi 10 septembre de l’an -21, à Nazareth, on se croirait dans un four. Une chaleur lourde, étouffante, écrase les hommes, les animaux et la végétation. Un coin de ciel noir d’encre grandit et annonce un orage d’une violence probablement dévastatrice. La population,  presque exclusivement rurale,  après avoir vaillamment enduré une sécheresse persistante se met à craindre les ravages de la grêle sur les vignes et les vergers chargés de fruits.

 

Pour Anne, en cette fin d’après-midi, l’heure de mettre au monde l’enfant qu’elle porte  est arrivée. Ses amies les plus proches l’ont rejointe dans sa chambre pour l’assister de leur expérience. Joachim est fébrile, inquiet. Il se comporte comme tous les papas du monde au moment de la naissance de leur premier enfant... avec plus de raisons d’inquiétude en pensant à l’âge avancé de son épouse. A cette heure, la grande confiance en Dieu est un peu débordée par notre commune humanité. De nombreux amis sont là qui envahissent la maison tant pour réconforter Joachim que pour s’abriter de l’orage qui éclate dans un débordement de violence.

 

Les femmes passent des nouvelles en provenance de la chambre.  L’accouchement se passe normalement, Anne ne souffre pas, elle est calme et sereine. Tous s’en étonnent. Œ Cette absence de douleur augmente l’inquiétude de Joachim car les croyances de l’époque y voyaient un signe néfaste.

 

L’orage bat son plein. Eclairs et grondements s’enchaînent quasiment sans interruption et la pluie s’abat en trombes. Chacun remarque cette violence exceptionnelle et lui cherche une signification. On se félicite cependant de l’absence de grêle. La porte extérieure ouverte  laisse entrer un vacarme épouvantable. Survient alors un événement qui marquera les mémoires : la foudre tombe à proximité de la maison en un fracas qui jette à terre quelques spectateurs. Immédiatement une forte odeur de soufre apparaît dans l’air et un silence impressionnant s’installe. Le vagissement d’un nouveau-né se fait entendre et le soleil couchant produit un splendide arc-en-ciel. Une  étoile, brillante, annonce le calme de la nuit qui approche. Les cris du bébé tirent les spectateurs de leur contemplation tout à fait interloquée. On commente ces faits curieux tout en félicitant Joachim.

 

L’heureux papa se rend auprès de son épouse. Tous deux s’extasient devant la merveille nouveau-née. C’est une petite fille, splendide, pleine de vie et de santé. Transfigurée par la joie malgré sa fatigue, Anne exulte :

 - C’est l’étoile, son signe est dans le ciel. Marie l’arc-en-ciel de la paix, Marie mon étoile !

Joachim s’étonne :

 - Tu veux l’appeler Marie ?

 -  Oui, l’étoile, la perle, la lumière, la paix.

 -  Mais… ce prénom signifie aussi amertume, ne crains-tu pas qu’il lui porte malheur ?

 -  Non, Dieu est avec elle. Elle est à lui. Il la conduira vers le bonheur.

 

Une ou deux semaines plus tard, Anne et Joachim sont à Jérusalem et  se dirigent vers le temple, accompagnés par des proches parents. Le cousin  Zacharie a la trentaine. Il appartient à la classe des prêtres qui servent Dieu en son temple. Son épouse Elisabeth a le même âge à deux ou trois ans près, et aujourd’hui c’est elle qui porte bébé Marie, avec bonheur, avec les précautions un peu excessives,  la peine cachée de celles qui voudraient des enfants et souffrent de n’en pas avoir. S’adressant à Anne, elle remarque :

-  Le Bon Dieu t’a comblée...

-  C’est  pourquoi  je lui donne cette enfant.

-  Mais comment pourras-tu t’en séparer ?

-  Je me rappellerai que j’étais sans enfant et que Dieu me l’a donnée. Je me consolerai en sachant qu’elle priera tout près du Saint des Saints. Je me répéterai qu’elle est à lui  et que nous n’en sommes que les gardiens. Cette enfant lui appartient, j’en ai la certitude. Béni soit-il.

 

On arrive ainsi au temple.

 

Zacharie et un autre prêtre concélèbrent majestueusement  le rituel de purification de maman Anne, puis il dit quelques mots à l’oreille de son confrère dont le visage s’éclaire :

-  Ainsi ce bébé sera consacré au temple ! Voici une de ses futures maîtresses qui arrive. Elle s’appelle Anne de Phanuel et sous sa garde, elle grandira en sainteté, pour la gloire de Dieu.

Emue, Anne murmure aux oreilles de sa petite :

-  Dans  quelques années tu seras là !

Mais pour l’heure, bébé Marie promène son regard sur tout ce qui brille et scintille... Et il y a de quoi attirer son regard dans la magnificence du temple. A profusion…

 

Œ Il y aurait donc eut, entre Marie et sa mère, une sorte d’anticipation de la Rédemption à accomplir par Jésus, un peu comme Marie fut « l’Immaculée Conception par grâce sanctifiante anticipée des mérites de son fils. » S’agissant de la naissance de « la nouvelle Eve », Anne sa mère aurait ainsi été soustraite aux conséquences du péché dit « des origines » : « …Dans la peine tu enfanteras tes fils… » (Gn 3/16)