CHAPITRE 3.

 

 

Le chef du K.G.B. avisa le nouveau venu :

 - Avez-vous quelque élément pour repérer le Pape, à Paris ?

- Non.

« Paris » était un homme très élégant, la quarantaine, la chevelure légèrement ondulée. Ses mains tremblaient un peu, comme s'il cherchait sans cesse. Les cinq hommes, à nouveau dans la pièce vide, semblaient absents. Dans la lumière neutre du néon...

 

L'homme rondelet reprit avec une satisfaction retenue dans la voix :

- La chambre des ordinateurs a travaillé toute la nuit. Tous les dossiers concernant le Pape, le Vatican, l'Eglise depuis trois ans ont été traités et toute une gamme d'investigations est en cours. Mais une indication importante est tombée tout à l'heure. Elle pourrait être décisive avec un peu de chance.

Les visages se relevèrent très légèrement dans le silence. Les murs lisses étaient toujours aussi indifférents.

- Quand le Patriarche de Constantinople alla voir le Pape au Vatican, il y a un an et demi, l'un de nos agents avait glissé un émetteur microscopique dans un de ses livres, afin de pouvoir suivre ses déplacements à Rome. Le repérage par gonio n'accusa aucun changement de localisation, alors que le Patriarche se déplaçait en visites et cérémonies variées. L'affinement de la détection décela l'objet dans les appartements particuliers du Pape. La clef du mystère n'était pas difficile à trouver : le Patriarche avait offert le livre — une édition grecque très précieuse des Evangiles -  au pape. Nos agents de Rome, par hasard, eurent l'idée de vérifier le fonctionnement de l'émetteur après le départ du Patriarche, et, nouvelle surprise, la gonio enregistra de légères variations, comme si l'objet était souvent déplacé. Un après-midi de beau temps, la variation fut considérable et la localisation indiqua le jardin du Vatican. Une hypothèse s'imposait : le Pape portait sur lui le petit livre. Elle fut vérifiée un jour de fête où le Pape se rendit dans la banlieue de Rome : effectivement le poste émetteur était sur lui. L'ordinateur a mis en évidence dans la nuit cet élément, et tout à l'heure la T.O.K. a envoyé un message à nos agents de Rome : nous saurons bientôt, sans doute, si l'émetteur fonctionne à Rome ou s'il est ailleurs.

Les visages donnèrent silencieusement des signes d'approbation flatteuse.

 

L'agent de Panama releva ses yeux incertains.

- Une fois réalisée l'approche, quels doivent être les objectifs prioritaires de Nadia ?

Le chef se tourna vers « Paris »

- Qu'en pensez-vous ?

- Il y a plusieurs objectifs : d'abord savoir où habite le Pape, et comment il vit. Ensuite contrôler ses allées et venues et ses relations. Enfin le faire parler, si possible, et peut-être... s'assurer de lui de quelque manière.

 

L'agent de Hong-Kong avait levé la main sans un mot. Le chef lui fit signe du doigt et lui donna la parole :

- Il faut prendre garde, malgré l'urgence, à procéder avec prudence. L'affaire a beaucoup étonné, même dans les milieux catholiques d'avant-garde. Aucune des explications simples qui ont été avancées n'a tenu…

Sa voix traînait un peu.

- … Nous nous trouvons devant un cas d'une extrême complexité qui nous déroutera probablement. Aussi, j'in-siste pour que Nadia soit informée au minimum, et pour que tous les renseignements soient confiés à l'ordinateur. Afin d'éviter dans toute la mesure du possible l'interférence des interprétations hâtives.

- Oui, bien sûr, dit le chef avec un rien d'impatience dans la voix. Et vous, dit-il en se tournant vers l'homme de Varsovie, avez-vous quelque idée ?

- Je pense au statut de l'agent à Paris, et à sa propre présentation au Pape. Je verrais bien qu'elle soit en stage d'étude des religions dans quelque université parisienne. Dans le cas de Nadia qui a travaillé au Musée de l'athéisme ce serait tout à fait adapté. Par ailleurs, si elle établit le contact, je vois à ce statut un double avantage premièrement, la conversation en sera parfois facilitée, et, deuxièmement, le Pape prendra garde plus encore à ne pas se dévoiler. Ceci évitera des initiatives intempestives de l'agent, rendra son rôle plus difficile, et donc plus fructueux.

Les visages s'inclinèrent légèrement, avec des moues de connaisseurs.

- Exact ! dit l'homme rondelet. Il faut toujours aller au plus difficile. Et vous ? fit-il à l'agent de Hong-Kong.

- S'il s'avérait que les Chinois occupent déjà la place, peut-être pourrais-je venir à Paris avec quelques camarades. Le temps d'éclaricir la situation... nous serions en mission commerciale.

- Un instant...

Le chef du K.G.B. venait de porter la main à la poche du portefeuille. Il en sortit un objet, de la taille d'une petite boîte d'allumettes, qu'il appliqua contre son oreille. Son visage s'éclaira imperceptiblement. Il remit l'appareil dans sa poche.

- Rome a téléphoné, me dit-on. La gonio n'enregistre plus rien là-bas. Il y a de grandes chances pour que le Pape ait emporté l'émetteur en partant.

Il reprit après un silence :

- Reste la première question : si nous parvenons à contrôler le Pape, que faire ?

L'homme de Varsovie eut un mouvement de la main pour intervenir :

- Je crois qu'il faudrait envisager de faire récupérer le Pape par l'appareil ecclésiastique. Il suffit de la moindre indiscrétion. Tout donne à penser que l'appareil ecclésiastique, après l'avoir récupéré, exercerait sur sa personne et sa fonction un contrôle très strict. Ainsi tout rentrerait dans l'ordre.

« Panama » leva la main :

- Peut-être serait-il possible d'obtenir un double résultat. Je verrais bien qu'on donne le Pape à la C.I.A., après avoir assuré notre contrôle de l'opération... Les Américains ne manqueraient pas de restituer le Pape à l'appareil administratif de l'Eglise, mais en cours de manoeuvre, des possibilités intéressantes s'offriraient sans doute...  

L'homme de Hong-kong intervint à son tour :

- Il faut laisser les Chinois aboutir, et trouver dans leurs initiatives l'occasion de leur infliger une perte de prestige très sévère auprès des catholiques d'Asie, d'Amérique latine ou d'ailleurs.., et plus largement les mettre en difficulté devant l'opinion internationale.

L'homme rondelet résuma :

- L'opération demande une attention exceptionnelle. Dès que le Pape sera repéré, nous ferons une étude permanente, très souple, des possibilités qui s'offrent. Je vous demanderai alors, si c'est nécessaire, de revenir à Moscou.

 

Tous s'étaient levés, ils se serrèrent la main et sortirent.