CHAPITRE 10.
- Où en êtes-vous ? » demanda « Paris ».
Ils étaient assis au fond du café. Il n'y avait personne. Nadia avait reçu
la lettre, la veille au soir. On lui donnait rendez-vous à 16 h au Centenaire.
Elle répondit :
- Avant-hier, Germain m'a invitée à l'accompagner à une réunion.
- Ah, et qui étaient les participants de cette réunion ?
- Une quinzaine de personnes, avec leurs enfants. Des ménages assez
jeunes. Certains étaient venus de trois ou quatre cents kilomètres pour
retrouver le groupe qu'ils avaient dû quitter, il y a quelques mois, pour aller
travailler en province.
- Et pourquoi se réunissaient-ils ?
- Pour une messe.
- Une messe !... Alors, c'était dans une église ?
- Non, c'était dans une famille, chez un chauffeur de taxi. C'était plein
à craquer.
- Et qu'est-ce qu'ils ont fait ?
- Ils ont parlé... longuement. Du travail, du syndicat, du nouveau
gouvernement...
- A quel syndicat appartenaient-ils ?
- Dans l'ensemble, à la C.G.T.
- A la C.G.T. ?
- Oui.
- Alors, ils étaient de gauche, politiquement ?
- Oui.
- Et Germain ?
- Il n'a presque rien dit, quelques questions aux uns et aux autres, sans
importance.
- Qui dirigeait la réunion?
- Personne... au bout d'un moment, quelqu'un a proposé une discussion sur
la messe, mais ils ont parlé surtout de leur groupe, et des difficultés à se
retrouver, maintenant que certains étaient à Angoulême, ou à Evreux.
- Et alors ?
- Ils ont dit qu'il leur était indispensable de se retrouver de temps en
temps, que ça changeait leur vie. Certains avaient fait naître d'autres groupes
semblables, là où ils habitaient.
Elle n'avait jamais connu un groupe pareil : que les gens avaient l'air
heureux ! Elle-même s'était sentie très vite à l'aise.
- Et que s'est-il passé ensuite ?
- Des gens ont lu quelques passages de la Bible. Puis ils se sont levés et
ils se sont rassemblés autour d'une petite table.
Elle voyait encore tous ces hommes et toutes ces femmes, paisibles et
souriants, serrés les uns contre les autres comme une grappe humaine autour de
la table.
- Et après ?
- Ensuite la messe a continué. Toute simple. A un moment, les gens ont
parlé de ceux dont ils avaient le souci, des camarades de travail, des
voisins...
- Pas de politique ?
- Si, il y avait des allusions... Un peu plus tard, tout le monde s'est
embrassé.
- On vous a embrassée aussi ?
- Oui, tous et toutes m'ont embrassée.
- Germain aussi ?
- Oui.
Elle fut un instant gênée du regard que « Paris » posa sur elle. Germain
l'avait embrassée. Oui. Après l'avoir re-gardée et lui avoir souri. Jamais
personne ne l'avait embrassée ainsi.
- Et ensuite ?
- Le prêtre a partagé une sorte de galette et ils l'ont mangée.
Elle avait encore à la mémoire un épisode amusant. La petite Gabrielle
avait regardé le morceau de galette d'un garçonnet, près d'elle. Puis elle
avait doucement rapproché son morceau de celui du petit garçon, pour voir s'ils
se raccordaient. Effectivement... Les deux enfants s'étaient regardés avec
ravissement.
L'homme ajouta après un silence :
- Il y a beaucoup de groupes comme celui-là, à Paris ?
- Germain a posé la question. Quelqu'un lui a répondu qu'il y en avait au
moins un millier. Les gens ont dit qu'il y en avait un peu partout, mais que
c'était peu connu.
- Il a posé d'autres questions à ce sujet ?
- Oui, il a demandé si ces groupes étaient en relation avec les prêtres,
les évêques...
- Et qu'est-ce qu'on lui a répondu ?
- Plusieurs ont dit que beaucoup de ces groupes existaient discrètement
avec ou sans prêtre, mais en marge de l'Eglise. Germain avait l'air très
intéressé.
- Et comment cela s'est-il terminé ?
- Les gens ont chanté, c'était la fête.
- Vous êtes très bien avec lui ?
« Paris » avait appuyé sur « très bien » avec une étincelle dans le
regard. Elle répondit :
- Oui.
- Vous savez que si votre mission est menée à bien, vous pourrez reprendre
votre enfant ? On m'a chargé de vous le dire.
Un instant, elle vit le visage d'Alexis.
- Qu'est-ce que vous prévoyez dans le proche avenir ? enchaîna rapidement
l'interlocuteur.
- Une surprise, répondit-elle, sans se hâter.
- C'est-à-dire ?
- Germain se rend à Moscou pour les fêtes du 1er mai, avec un
groupe de syndicalistes.
« Paris » resta un instant interloqué. Puis il reprit :
- Bien entendu, vous êtes du voyage ?
- Oui.
- Il ne sera pas tenu de rester avec son groupe pendant le séjour ?
- Non, nous devons visiter Moscou ensemble. Il rejoindra le groupe pour le
voyage retour. »