CHAPITRE 20.

 

 

 

 

 

Il avait fallu un peu plus de deux heures au Mossad, le célèbre service de renseignements israélien, pour opérer toutes les vérifications. Aucun doute ne subsistait : l'homme qui agonisait à l'hôpital Hadassah de Jérusalem était bien le Pape Hyacinthe 1er .

 

A 8 h 15, le gouvernement se réunit : après une brève délibération, il fut décidé d'informer les USA, le Vatican et la France. Le Secrétaire d'État appela Pie XIII au téléphone et lui demanda une audience immédiate. La voix dans l'appareil trahissait une émotion à peine maîtrisée. L'homme était livide quand il entra dans le bureau du Pape.

- Saint Père, le gouvernement israélien vient de nous informer... Votre prédécesseur, le Pape Hyacinthe, a été griévement blessé au bord du Jourdain... Il est dans un hôpital à Jérusalem.

Pie XIII s'était levé et ne disait rien. Le secrétaire d'État articula encore, d'une voix plus basse :

- Il est dans le coma...

Pie XIII porta la main droite à son front. Le silence s'appesantit.

- Ce n'est pas tout, murmura encore le prélat... ce n'est pas tout. Hyacinthe avait de faux papiers, une identité d'emprunt. Il se présentait avec pour nom — le Secré-taire d'État eut une hésitation — Germain Tournier.

Le Pape avait blêmi.

- Vous dites : Germain Tournier ? celui que...

- Oui, fit le prélat d'un mouvement de la tête.

Pie XIII resta interdit. Puis il reprit :

- Vous êtes sûr ?

- Tout à fait sûr, la C.I.A. nous avait prévenus dix minutes avant le Ministre des Affaires étrangères israélien.

- Et que disent les médecins ?

- Il n'y a rien à faire. Il va mourir dans les heures qui viennent.

Pie XIII sentit comme une grosse boule monter de son coeur vers sa gorge. Il serra les dents. Il regarda sa montre. Il s'approcha de son bureau et appuya sur une sonnette.

 

Quand Della Torre entra, le Pape lui dit :

- Hyacinthe 1er  a été retrouvé. Il est en train de mourir à Jérusalem…

Il marqua un arrêt et reprit :

-… Hyacinthe 1er … c’était Germain Tournier.

Les yeux de Della Torre furent un instant exorbités.

- Oui, reprit Pie XIII ... celui qui était avec nous l'autre jour encore.

 

 

Le Pape baissa les yeux un long moment puis il dit à Della Torre :

- Téléphonez à Fiumicino, je vous prie, et faites le nécessaire pour que je parte dans le prochain avion pour Israel.

Le secrétaire d'État intervint :

- Il n'est pas possible, Saint Père, de partir ainsi, sans prévenir les gouvernements italien et israélien, et dans des conditions aussi ...  

Pie XIII avait tourné son regard vers lui :

- Je partirai par le prochain avion, faites le nécessaire.  

 

L'ambulance roulait très lentement. Quand Pie XIII était arrivé à l'hôpital, Hyacinthe avait quelque peu repris conscience. Lorsque le Pape toucha sa main, il ouvrit les yeux et regarda. Puis il les referma et murmura :

- Excusez-moi ... merci.

Pie XIII aurait voulu parler, mais il ne pouvait pas. Il serra la main abandonnée et dit enfin :

- Je reste avec vous, je reste avec vous ... Vous aussi, vous restez avec moi ?

Il vit une larme au coin des paupières, à l'oeil droit de Hyacinthe. Au bout d'un moment, Pie XIII dit encore :

- Désirez-vous quelque chose ?

Hyacinthe n'ouvrit pas les yeux mais ses lèvres bougeaient. Pie XIII se pencha sur lui et devina plus qu'il n'entendit :

- Je voudrais qu'on aille ensemble sur l'esplanade du mont des Oliviers pour voir Jérusalem. Je veux ... avec vous ... mourir là-bas.

 

Le médecin chef avait refusé : le blessé ne supporterait pas le transport. Pie XIII avait exigé. « Mais il fait nuit », avait encore répliqué le docteur. « Oh oui ! avait dit le Pape, il fait nuit, mais nous allons partir. » Le médecin avait encore voulu en référer plus haut, jusqu'au gouvernement. Maintenant l'ambulance roulait lentement vers le Mont des Oliviers.

 

La nuit était claire et les étoiles brillaient de feux multicolores sur le velours du ciel.

- Vous n'avez pas froid ?  

Il ne répondait pas. En quelques minutes, des infirmières avaient posé des fils, et des couvertures chauffantes avaient été emmenées. On devinait, aù-delà de la vallée du Cédron, la barre sombre des murailles de Jérusalem. Pie XIII tenait la main qui parfois serrait soudain.

- Vous souffrez ?...

- Non, merci ... bientôt je m'en vais.

 

Maintenant il avait les yeux grand ouverts. Il regardait le ciel. Pie XIII lui caressa la main pour enlever à sa question toute dureté :

- Pourquoi êtes-vous parti ?...

Hyacinthe ne répondit pas tout de suite, puis il murmura :

- Vous le savez...

Pie XIII serra sa main et dit encore :

- Vous le referiez si c'était à refaire ?

Le visage d'ombre de Hyacinthe semblait rayonner. Après un long silence, il dit, très bas :

- Je vais le refaire.

Puis :  

- Voulez-vous dire le Notre Père ?

Pie XIII commença. La main de Hyacinthe serrait plus souvent, mais plus faiblement.

 

Quelle heure était-il ? Au pressentiment du jour, les voix poignantes des muezzin s'élevèrent des minarets... A l'ouest, l'ombre avait hésité, les pentes du ciel s'étaient d'abord éclairées comme aux lueurs d'un feu très lointain et soudain un ourlet orange avait barré l'horizon vers l'Orient. La lumière semblait jaillir, vivante et victorieuse, du désert… Hyacinthe avait fait un effort pour tourner la têtes. Les murailles de Jérusalem – en face - resplendissaient comme un cuivre pâle. L'esplanade du Temple, à la clarté neuve du jour, miroitait comme si une eau vivifiante avait été versée sur les vieilles dalles. Pie XIII se pencha vers les lèvres de Hyacinthe.  

 

 

 

Il crut distinguer :

- Je vois un ciel nouveau ... une terre nouvelle... il n'y aura plus de nuit ... le Seigneur répandra sur eux ...

La main serra fort. Il prononça à voix presque haute :

- ... sa lumière (*)

Sa poitrine se souleva et retomba. Son visage se crispa et fut soudain envahi par une sorte de sourire. Ses yeux étaient presque clos. La pâleur de la mort montait le long des joues. Pie XIII se mit à genoux. On entendait des cloches sonner, au dessus de Jérusalem.

 

 

(*) Apocalypse 21/1, 22/15.