CHAPITRE 2.

 

 

 

 

 

Pourquoi le chef du K.G.B. avait-il fixe la reunion à Paris ? Pour rassembler discrètement un certain nombre d’agents francais ? Peut-être était-il obscurément poussé a venir dans la ville meme øù se trouvait le Pape, comme si ce geste allait faire retrouver la piste de Hyacinthe.

 

Dans la voiture immatriculée C.D. (Corps Diplomatique), qui avancait rue de Grenelle, l'homme rondelet regardait les passants : « … Peut-être est-on a cent mètres du lieu où il se cache, peut-être marchera-t-il dans un quart d'heure sur ce trottoir... Comment les politiques avaient-ils été assez bêtes pour le laisser repartir ainsi de Moscou ?... »

 

Il y avait six hommes dans la salle aux murs ternes, quand le chef du K.G.B. entra. II laissa comber un bref salut : « Messieurs !... » pendant qu'on lui enlevait son manteau. Puis il s'assit et tous prirent place autour de la lourde table de bois ou quelques cendriers de faience voisinaient avec un vieux téléphone. II leva les yeux et se mit a parler en articulant fortement :

- Messieurs, tout est a recommencer. Le Pape a disparu. Nadia l'avait rejoint ici-même a Paris. Elle l'avait amené a Moscou dans un groupe de syndicalistes. Mission remarquablement accomplie. Nous avons pu le soumettre à un examen psychiatrique approfondi, sans grand résultat. Le personnage est solide, d'un fonctionnement psychique très élémentaire, caractérisé par un monodéisme constant : il est obstiné, dangereux, mais aussi facile à piéger... Le premier secrétaire l'a rencontré. Résultat zéro, et il nous a demandé de le laisser repartir.

L'homme rondelet éleva soudain la voix :

- C'est là qu'a été commise la faute impardonnable. Le Pape a embarqué à Borodino, l'avion a dû faire une escale à Rome à cause du mauvais temps, et on n'a rien fait ! C'est seulement le lendemain matin que les services de détection nous ont fait savoir que l'émetteur placé dans un petit livre qu'il portait toujours sur lui émettait de Moscou ! Vous vous rendez compte : de Moscou, et le bonhomme était à des milliers de kilomètres !...

Il reprit sa respiration. Les autres hommes restaient sans voix.

- Oui, il avait donné le livre à Nadia pour le gamin. Un vieil évangile en grec. Il l'avait reçu en cadeau du Patriarche de Constantinople en visite au Vatican. Un de nos agents, pour suivre les déplacements du Patriarche à Rome, avait pu glisser un émetteur microscopique dans le petit livre. Le Pape est reparti de Moscou et quinze heures ont passé avant que la gonio signale qu'elle captait toujours l'émetteur... Vous vous rendez compte, Mes-sieurs, vous vous rendez compte… ! Bien sûr, des têtes sont déjà tombées. De pareilles négligences au K.G.B. sont intolérables. Mais nous ne savons plus où est le Pape. Il était dans l'avion qui est reparti de Rome vers Paris. Mais ensuite... Vous pensez bien qu'après son passage à Moscou, il n'aura pas rejoint son domicile. Le bonhomme n'est pas fou, il a bien compris que nous nous étions occupés de lui. Alors vous vous rendez compte !... On l'a contrôlé pendant des semaines, on l'a eu en mains, à Moscou, et on le laisse filer. Il y a de quoi devenir fou !...

Le silence était tendu à l'extrême. Le chef du K.G.B. se calma.

- Tout est à recommencer. Avez-vous une idée ?

Personne n'ouvrait la bouche. Il avisa son voisin de droite. L'homme avait de bonnes joues fraîches, l'allure d'un paysan de passage à Paris. Il s'éclaircit la voix et prononça lentement :

- Peut-être les femmes... il reviendra voir les femmes, et la gamine du voisin avec laquelle il jouait dans l'escalier. Pas sûr, mais peut-être... il avait l'air un peu sentimental comme gars...

- Et vous ? dit l'homme de Moscou, en se tournant vers la gauche.

C'était « Paris » le responsable du K.G.B. dans la capitale, avec son élégance habituelle, ses cheveux ondulés et ses mains fébriles.

- Faut voir immédiatement s'il travaille encore à la Compagnie de taxis : c'est peu probable mais on ne sait jamais et on peut glaner peut-être quelque renseignement par là.  

Un léger « bip-bip » se fit entendre au téléphone qui était posé sur la table. « Paris » décrocha :

- Oui... oui ».

Il passa le combiné à l'agent de Rome qui écouta longuement et dit enfin :

- Oui, vous faites transmettre…  Code Jonquille... Oui, immédiatement ».

Il posa l'appareil. L'homme rondelet le regarda :

- C'est pour notre affaire ?

Rome opina de la tête.

- Alors ?

L'agent énonça lentement :

- On vient d'apprendre que le Pape avait profité de l'escale forcée à Fiumicino pour aller au Vatican. Il s'était rendu chez l'un de ses amis sûrs, un vieux professeur en retraite.

Le chef du K.G.B. l'interrompit :

- Comment le sait-on ?

Les yeux de « Rome » se détournèrent un instant :

- Par la C.I.A., Monsieur ».

- La C.I.A !

- Oui, Monsieur, articula Rome avec une légère nuance de satisfaction dans la voix. Il continua :

-… Mais il y a beaucoup plus important. Le Pape avait laissé à cet ami des ordres précis pour bouleverser de fond en comble le fonctionnement des organismes centraux de l'Église et particulièrement les instances de pouvoir. Une vraie révolution, parait-il...

- C'est-à-dire ?... » interrompit le chef du K.G.B.

« Rome » reprenait de sa voix musicale :

- Nous aurons le texte dans quelques minutes, le temps de le décoder sur le telex... Mais il n'y a plus aucun danger...

- Pourquoi, pourquoi ? » s'inquiétait l'homme de Moscou.

- Oh ! c'est tout simple, Monsieur, reprit l'agent romain en regardant son chef posément : le vieux professeur a été trouvé mort le lendemain matin. La lettre du Pape a abouti dans les bureaux de la C.I.A. et...

- Mais quand donc ? » interrogea le chef du K.G.B.

- Lorsque l'avion fit escale à Fiumicino à cause du verglas en France.

- Je comprends… je comprends.  

L'homme du K.G.B. à Rome ajouta :

- C'est seulement ce matin qu'un agent double vient de transmettre une copie du document. Il a fallu du temps pour l'obtenir...

Le chef du K.G.B. passa sa main dans ses cheveux sans un mot. On frappa à la porte. C'était le texte. En le lisant, il se passa plusieurs fois encore la main dans les cheveux et poussa de légers sifflements à plusieurs reprises. Quand il eut terminé la lecture, il murmura :

- Nous venons d'échapper à un danger très grave... Quel diable d'homme !... Les psychiatres du K.G.B. sont débiles : ce bonhomme n'est pas simplet... Le premier secrétaire n'a rien compris, il s'est fait avoir comme un bleu.

Il donna le texte aux autres hommes qui se regroupèrent pour le lire. « Rome » le tenait dans ses mains levées et six paires d'yeux dévoraient.

 

Le « bip-bip » retentit à nouveau. « Paris » décrocha et se tourna à nouveau vers « Rome ». Ce dernier resta longtemps à l'écoute.

- Oui, suivez de très près , dit-il avant de poser l'appareil.

Le chef du K.G.B. le regardait. « Rome » était devenu le centre de la réunion. « Alors » interrogea l'homme rondelet.

- Il y a encore du nouveau, murmura "Rome" à mi-voix. Un Consistoire de cardinaux et d'évêques du monde entier vient de se réunir. Ils vont rendre public un texte qui somme le Pape de rentrer à Rome dans les trois mois. S'il ne rentre pas, un Conclave sera convoqué pour élire un nouveau Pape.

Tous demeurèrent silencieux.

- Voilà qui est nouveau , commenta « Paris ». Le Pape va-t-il regagner Rome, va-t-il tenter de bloquer cette procédure ? Faut-il travailler pour qu'il rentre au Vatican ou... le contraire ?

 

L'homme rondelet leva la main droite.

- Des instructions vous seront données sans tarder. Elles relèvent de plus haut que nous. Quoi qu'il en soit, il faut dans l'immédiat reprendre la recherche et aboutir vite. Je dis bien : aboutir vite.

Il regardait vers « Paris » dont les mains étaient un peu plus fébriles que d'habitude. Le silence vrilla encore la petite assemblée. L'agent parisien sans lever les yeux dit d'une voix légèrement voilée :

- Renvoyez-nous l'agent 666, Nadia, ... et l'enfant, avec le petit livre.

- Sans l'enfant, mais avec le livre, répliqua le chef du K.G.B. qui regarda « Paris » en faisant à plusieurs reprises, de la tête, des signes d'approbation muette.