LA GLOIRE DE LA PETITE CROIX

 

Il est onze heures. Vous circulez sur une minuscule route de la Corrèze. Un franc soleil tiédit l’air de cette fin d’été. Vous cherchez un coin paisible pour le pique-nique. Le voici : l’entrée élargie d’un chemin forestier ; juste assez d’ombre avec, à contre-jour, la lumière d’une prairie ; le silence vivant de la Nature.

 

Alors seulement la petite croix apparaît sur le talus qui marque la lisière du bois.

Deux rondins grossiers presque décomposés et qu’un boulon rouillé réunit composent son fût et ses branches.

Elle est fichée dans un bloc de granite qu’envahissent la mousse et les ronces. En dégageant la face antérieure de cette pierre, je découvre une inscription gravée, presque effacée, dont le sens m’échappe d’abord ; puis je comprends : il est écrit « 1862 », mais à l’envers. Si la base date sans doute d’une « mission » de cette époque, la croix initiale a disparu. Quelqu’un l’a remplacée par celle-ci mais en retournant le bloc, de façon à disposer d’un trou existant qui lui convenait mieux. Peut-être encore a-t-on récupéré cette pierre ailleurs…

Je suis totalement envahi par cette image. Ma pauvre petite croix rongée, bancale, oubliée rayonne de son humilité éclatante. Elle dit : « Venez à moi les tordus, les moisis, les paisibles, les invisibles, les à-l’envers, qui errez loin des grandes routes et des ors, un peu perdus, car en vérité vous cheminez déjà vers ma gloire. Je ne révèle pas mon mystère par des signes de puissance, des pompes, des monuments ostentatoires mais plutôt par la douceur de deux bois vermoulus. »

Alors on s’assied sur la mousse, et l’on écoute ce Seigneur dépouillé qui nous ressemble comme un frère. La Parole qui naît là chante comme tous les hymnes et le silence qui l’entoure vaut celui de la Trappe.

Cette croix s’est depuis longtemps émancipée de ceux qui l’ont plantée. Elle tient par elle-même dans son éternité, signe pour chacun, plus forte que les honneurs du monde qui en broieraient la forme, non l’âme, au-dessus des foules ambiguës, des sectes récupératrices, libre….

 

…En même temps, à Dozulé (Calvados), une étrange affaire poursuit son train. A la suite de « révélations » (qui ne révèlent pas grand-chose : on en apprend infiniment plus dans l’Evangile : jugez vous-mêmes sur ce site, par exemple…), des pèlerins s’amassent, la piété marchande s’organise et l’on envisage de dresser une gigantesque « Croix Glorieuse ». Par l’odeur (de sainteté ?) alléchée, une secte, les  Amis de la Croix Glorieuse de Dozulé,  s’est appropriée ce projet en douce et l’utilise pour galvaniser ses troupes. Heureusement, la prudence ecclésiastique et les réglementations républicaines réunies ont jusqu’à présent fait échec au monstre. Ainsi, comme toujours, l’ivraie n’a pas manqué de prospérer parmi le plus sincère froment, ni le Malin de revêtir ses habits de lumière…

 

O ma petite croix de bois, que tu es vraie !!

 

JULES.