En ces premiers jours d'Avril, un ciel indifférent couvre la vaste
place.
Une foule, à présent, piétine douloureusement depuis des heures.
Aux premiers arrivés, les plus proches ou les mieux informés, se
joignent peu à peu tous ceux que la nouvelle a touchés. Ils arrivent parfois
de loin, par petits groupes ou solitaires; quand ils approchent, leurs mots se
font plus rares, leurs voix plus basses, leurs pas plus lents: comme un fleuve
discret parvenant à la mer, il faut qu'ils se mêlent sans remous à la masse
existante, sans ébranler celle-ci, sans qu'elle prenne vraiment conscience de
son accroissement . Le tout ne forme plus qu'un grand corps frémissant, fondu
dans le regard innombrable et unique fixé sur cette lointaine ouverture où nul
n'apparait.
Loin d'être total, le silence s'anime de multiples rumeurs chuchotées
qui en renforcent la qualité.
La plupart prient: "Seigneur, de grâce, encore un peu de
temps".
Certains, il faut bien le dire, viennent en curieux. Alors qu'ils
eussent été indifférents en d'autres circonstances, la publicité sans précédent
donnée à l'évènement les a conduits à considérer celui-ci comme
exceptionnel, comme un fait qui finalement les concerne. Sur place, presque
malgré eux, ils s'accordent à l'ambiance de respect, de compassion, de ferveur
qui règne.
Tous vibrent au rythme des informations plus ou moins vérifiées qui
parcourent l'assistance: "C'est l'agonie", "Le coeur tient
bon", "Sa sérénité est étonnante",...mais on sent peu à peu
la mort gagner.
En cercles concentriques, le recueillement s'étend alentour: pour le préserver,
les autorités locales prennent des mesures discrètes de prévention du désordre.
Des manifestations politiques, culturelles, sportives sont ajournées. Des
"personnalités" y vont de leurs commentaires dignes et affligés:
"Tout ce que nous lui devons...", "Une figure exemplaire nous
quitte."
Loin de là, dans son village d'origine, l'émotion n'est pas moindre.
On se réunit aussi dans la prière et la gravité.
A qui le leur demande, des cousins, d'anciens élèves, des amis
d'enfance livrent leurs souvenirs, leurs sentiments parfois un peu convenus , et
leurs propos sont promptement répandus: ainsi, chacun se sent davantage au
nombre des "proches".
Et puis tout se fige. Une porte s'ouvre, une silhouette sombre apparait:
on sait alors que cette grande âme s'est rendue. Il n'y a pour l'accompagner
qu'un doux gémissement unanime, comme un dernier souffle partagé. Des larmes.
Quelques appels clairs de petits enfants las et troublés.
- Pourquoi tant de mouvements des coeurs autour d'une simple mort?
- C'est que, dans ce coin d'Afrique, on l'aimait tellement, la petite institutrice du village, vaincue par le SIDA.
JULES