7- VERS BETHLEEM

 

 

 

De très bon matin le lendemain, je retrouvais le rabbi, le jeune Jean et Simon à la porte des poissons. Le rabbi nous proposa de participer à un premier voyage d’évangélisation :

- Amis, je vous demande de venir avec moi à travers la Judée. Simon, ça sera peut-être pénible pour toi.

- Pourquoi ?

- Les routes ne sont pas faciles et tu risques d’affronter des souvenirs douloureux.

- Aucun problème pour la marche. Tu m’as rendu une vigueur de jeune homme. Et pour le souvenir de ceux qui m’ont fait mal, toute haine et désir de vengeance ont disparus depuis que je t’ai rencontré. Cette transformation de mon esprit fut assurément le plus grand miracle pour ce qui me concerne.

- Tu vois juste, Simon.

J’observais immédiatement :

- Pourquoi n’agis-tu pas ainsi avec tous ?

Ce fut le jeune Jean qui me répondit :

- Il le fait, Judas ! Pourquoi des reproches au Maître ? Ne te sens-tu pas différent depuis que tu le fréquentes...

 

 

Affectueusement, il m’avait posé une main sur le bras pour oser cette objection. Et de fait, il avait raison. Ces quelques semaines et surtout les derniers jours avaient complètement chamboulé ma vie.

 

-... Pardon, Maître ! J’ai répondu à ta place. Mais je ne voulais pas que Judas te cause du désagrément.

- Il ne l’a pas fait comme disciple. Il le ferait s’il persistait dans sa manière de penser. La seule chose qui m’attriste est de constater à quel point vous êtes vulnérables aux déviances de Satan. Mais viendra un jour où vous serez envahis par l’Esprit Saint. Alors, vous jugerez de tout avec justice.

Cette promesse d’une sorte de sagesse universelle m’impressionna :

- Cet esprit sera donné à tous ?

- Non, Judas.

Il me sembla que cette restriction pouvait me concerner :

- Parles-tu là pour nous ou pour tous les hommes ?

- D’abord pour vous, et pour tous les autres ensuite. Quand ce sera l’heure, je créerai mes ouvriers et je les enverrai à travers le monde.

- Tu le fais déjà...

- Non, Judas. Pour l’heure, je me sers de vous pour que vous proclamiez : « le Messie est là... Venez à lui ». Après, je vous rendrai capables de prêcher mon nom et d’accomplir des miracles en mon nom...

- Oh ! Des miracles !

- Oui, des miracles sur les âmes et sur les corps.

 

 

Cette promesse m’éblouit littéralement. Venant de lui qui m’affirmait si souvent qu’il tenait toujours ses promesses... Avoir pouvoir sur les forces naturelles ! Sensationnel... Je jubilais.

- Nous serons admirés...

Le jeune Jean ne paraissait pas aussi enthousiaste que moi :

- Nous ne serons plus avec Jésus... J’aurais peur d’accomplir quelque chose de divin avec mes pauvres moyens humains.

Il regardait son Maître avec le regard triste d’un toutou battu.

Simon intervint :

- Puis-je livrer ma pensée, Maître ?

- Donne ton conseil à Jean.

- Tu sais donc que c’est un conseil...

Le rabbi sourit sans répondre.

- Jean, il me semble que nous ne devons rien craindre. Faisons confiance à la sagesse et à la promesse du Maître. S’il nous envoie un jour, ce sera en sachant que nous ne lui nuirons pas, et après avoir revêtu notre misère d’un éclat de la puissance du Père. Cela se produira donc puisqu’il le dit. Du moins si nous ne mettons pas d’orgueil et de désirs humains dans nos actions. Notre mission est entièrement spirituelle, et tout autre élément stériliserait le désir du Maître sans que ce soit impuissance de sa part.

 

 

Tout ceci n’était pas pour Jean mais bel et bien pour moi :

- Oui, j’ai tort. Mais désirer être admirés comme disciples du Messie au point d’avoir mérité de faire ce qu’il fait lui-même, c’est vouloir faire resplendir la puissante image du Christ sur le monde. Louange au Maître qui a de tels disciples !

Le silence du rabbi aurait du m’alerter sur l’élémentaire perversité de mon argumentaire.

Il est vrai qu’à cet instant je ne pouvais en aucune manière la percevoir. J’étais tout à fait conforme à l’opinion publique du moment. Il serait plaisant que vous m’en fassiez grief, vous, vingt siècles plus tard. Le plus souvent, vous en êtes restés aux mêmes travers. La soif de gloire, surtout par le pouvoir spirituel est restée le fond de commerce des gourous de tous les temps. Ayez donc la clairvoyance de reconnaître qu’ils ne sont pas rares, ceux de vos pasteurs, qui s’y adonnent.

Simon poursuivit donc, amicalement je dois le reconnaître, mon dégrossissage :

- Judas, tu connais mon surnom. Les zélotes furent durement persécutés pour l’image fausse qu’ils se faisaient du Messie. Nous voyions dans le Christ un libérateur, un conquérant, un nouveau Macchabée plus grand que ton illustre homonyme. Nous ne pensions qu’à notre patrie et à nos intérêts, pas à ceux de Dieu. La patrie est sainte certes, mais elle n’est rien devant le ciel éternel. Les persécutions, le bannissement, la vie d’une bête fauve en fuite et pourchassée, la trahison de presque tous mes amis et finalement la nécessité de survivre parmi les morts vivants atteints de la lèpre, je t’assure que tout cela m’a donné matière à réflexion. J’avais vu la vraie physionomie du Christ avant de le trouver en notre Maître, humble, doux et d’infinie bonté. Il est Maître et roi de l’esprit. Il nous conduit vers le Père et pas vers un royaume de boue. Il est aisé de le suivre, surtout pour ceux qui ont connue de grandes souffrances. Pardonne ma hardiesse, Maître,  mais mon âme te connaissait avant notre rencontre.

- Et c’est pour cela que je t’ai appelé. Voilà pourquoi je t’emmène pour ce premier voyage. Tu apprendras à mieux me connaître. Et les jeunes que la vie n’a pas encore contraints à une méditation sévère découvriront aussi qui je suis et comment je suis arrivé à cette heure. Votre compréhension de la suite en sera facilitée

 

 

J’étais manifestement parmi ces jeunes. Il fallait que j’apprenne à freiner mes désirs de parler, de me montrer à mon avantage. Ce Simon pesait effectivement très lourd.

 

 

Très majoritairement, nous avons tous, comme toi, le virus de la comparaison. C’est véritablement une maladie spirituelle que nous identifions rarement. Nous n’en mesurons aucunement les ravages. Toujours un problème de centrage : Le Christ Jésus et Lui seul, ou un étrange mélange dans lequel notre nombril  s’attribue toujours le beau rôle sous les habits de la meilleure volonté qui soit.

 

 

Nous étions sur la route de Bethléem.