6 - JEAN DE ZEBEDE ET SIMON LE ZELOTE
Le lendemain matin, j’attendais avec lui devant la porte du temple ne
faisant des allers et retours et discutant tranquillement. Nous attendions un
disciple avec lequel il avait rendez-vous. Ce Juif concurrent qu’il m’avait
annoncé et qui me souciait un peu.
- Es-tu sûr qu’il viendra ?
- Certain. Il est parti à l’aube de Béthanie. Il aura rencontré mon
premier disciple...
Allons bon ! Encore un autre...
S’arrêtant, il me dévisagea, puis me mettant une main sur l’épaule :
- Pourquoi ne pas me dire ce que tu penses ?
- Mais je ne pense rien de spécial à ce moment. Des questions, je t’en
pose de trop. Tu ne peux pas te plaindre de mon mutisme...
- Oui, tu me poses beaucoup de question et tu me donnes beaucoup
d’informations sur la ville et ses habitants. Mais tu ne m’ouvres pas ton âme. Je n’ai cure de la composition de
telle ou telle famille et de sa fortune. Je ne suis pas un désoeuvré venu ici
passer le temps. Tu sais pourquoi je suis venu. Tu peux donc comprendre que
j’ai d’abord à coeur d’être le Maître de mes disciples. Je veux de leur part
sincérité et confiance. Ton père t’aimai-t-il Judas ?
- Beaucoup ! J’étais sa fierté. Il voulait que je lui dise tout et
s’intéressait avec joie à tout ce que je faisais. Surtout si c’était bien.
Quand ça l’était moins, il me consolait et parfois me réprimandais en me
faisant voir le bien fondé de son reproche, mais doucement, comme m’aurait fait
un grand frère. Il finissait toujours en me disant : « Je te dis cela
parce que je veux que mon Judas soit un juste. Je veux être béni à travers mon
fils... » Mon père...
Par la seule évocation de mon père, il m’avait touché au coeur. Je me
sentais ému et tout attendri.
- Rien ne rendra ton père aussi heureux que de te voir mon disciple.
Dis-toi que ce père que tu as perdu et qui te semblait un grand frère, tu l’as
retrouvé en moi qui veux te guider, te bénir et te faire si nécessaire de
tendres reproches. Dieu veut
que je n’aie qu’à te bénir. Le voudras-tu aussi ?
- Oui. Si tu m’aimes à ce point, je saurai devenir bon comme tu le veux
et comme mon père le voulait. Ma mère n’aura plus cette crainte dans le coeur.
Elle me dit souvent : « Tu n’as plus de guide, fils. Et tu en as tant
besoin ». Elle sera heureuse de savoir que tu es mon Maître.
- Judas, personne ne peut t’aimer comme je t’aime. Personne et pour
l’éternité. Ne me déçois pas.
Oh ! Le poids de
cette éternité d’amour... Je n’avais pas compris le sens de cette insistance.
Maintenant, le feu de cet amour me brûle à un degré qui n’est pas imaginable de
votre côté de la vie.
Tu ne peux pas me
dire s’il te reste une espérance dans cet amour. Pas même me dire si tu
l’accueilles. Je le sais.
C’est l’ultime barrière posée à notre
responsabilité, donc à la réalité de notre liberté face à l’infini de la
miséricorde divine. Il faut qu’il en soit ainsi pour préserver notre dignité de
vrais fils de Dieu. Dans le cas contraire, tout ne serait qu’une sinistre
comédie où nous jouerions le rôle de misérables toutous tenus en laisse par un
créateur sadique. Tout le contraire de notre Bon Père du Ciel. Le dieu de
Nietzsche, de Victor Hugo et de tant d’autres aux coeurs mutilés, avec leurs
yeux accusateur dans la tombe des Cains
que nous sommes tous plus ou moins. Mon être hurle face à cette idole-là qui
est, elle, par Satan, une création des
hommes. Frère Judas, toi qui fus le nécessaire traître, le bras de l’infamie
qui nous valut la splendeur de
- Non,
Maître, je ne te décevrai pas. J’étais plein de contrastes, envies, folies des
grandeurs, amour du plaisir. Tout en moi se heurtait aux bonnes inspirations.
Il y a seulement quelques instants, tu m’apprenais que tu avais deux disciples
et je prenais ombrage de ne pas être le premier.
- Quand tu m’as vu la première fois au temple, j’étais avec plusieurs
Galiléens.
- Je pensais qu’ils n’étaient que des amis. Je pensais avoir été le
premier choisi, donc le préféré.
- Mon coeur ne fait aucune différence entre le premier et le dernier.
Mais voici Jean de Zébédé, mon premier disciple,
accompagné de Simon. Tu les as déjà vus.
- Le lépreux ! Oui, je me souviens. Déjà ton disciple ?
- Dès le lendemain.
- Et moi, pourquoi m’a-t-il fallu attendre ?
- Judas...!
- Pardon, Maître.
Les retrouvailles en une embrassade spontanée et affectueuse vers ce
grand adolescent si peu viril avec sa tête d’archange, me gênèrent quelque
part. Le lépreux miraculé se jeta théâtralement aux pieds du rabbi :
- Gloire à mon sauveur ! Bénis ton serviteur pour que ses actes soient
saints aux yeux de Dieu. Je bénis le Père de t’avoir donné à moi.
Il y mettait la forte dose...
- Oui, je te bénis pour ton bon travail. Lèves-toi, Simon. Voici Jean
et voici Simon. Ce nouveau disciple s’appelle Judas de Kériot.
Il veut suivre
Le tout jeune homme fut très expansif et m’embrassa... Je m’en senti
gêné. Le salut échangé avec le Juif fut réservé, presque glacial. Je perçus
immédiatement un homme de grand poids tout chargé d’une forte expérience
humaine. Un concurrent sérieux. L’autre me parut sans aucun danger.
- Fatigué Simon ?
- Oh ! Non, Maître. Tu m’as rendu une santé et une vigueur qu’il me
semble n’avoir jamais connue.
- Et tu l’emploies magnifiquement. Beaucoup de coeurs sont venus vers
moi parce que tu les avais instruits sur le Messie.
Le sourire de cet homme dont la laideur était accentuée par les
cicatrices de sa maladie, opérait comme une transfiguration. Il rayonnait de
bonheur...
- Hier, j’ai parlé de toi à un de mes rares et fidèles amis. Un
véritable Israélite. Je serais heureux de te conduire vers lui.
- C’est promis, Simon.
- Tu m’as promis de venir à Kériot !
- Je tiens toujours mes promesses Judas. Le temps est court mes amis, et le peuple si nombreux ! Je pars avec Simon. Ce soir venez à ma rencontre sur la route du mont des oliviers et nous distribuerons de l’argent aux pauvres. Allez...