DISCIPLE DU RABBI
Les jours passèrent. Toujours pas de
Didyme, et aucune nouvelle de lui. Comme la Pentecôte approchait, je chargeais
mes informateurs de m’avertir dès que le rabbi de Nazareth serait de retour.
Me rappelant
maintenant cette courte période de
réflexion qu’Il m’imposa, je mesure que je ne l’utilisai à aucune réflexion de
fond, sur moi-même. J’avais hâte de le revoir pour le convaincre de me recevoir
parmi ses disciples. Que mon intérêt puisse être de demeurer loin de lui ne
m’effleurait en aucune manière. Je méditais des arguments, des faire-valoir...
Hélas !
Enfin, quelques jours avant la
Pentecôte, un de mes hommes m’avisa de Son arrivée. Un miracle avait été opéré
à une des portes de la ville dans un groupe de pèlerins. C’était certainement
Lui. Il logerait probablement chez le même cultivateur. Le jour même je sortais
de la ville et me mis à arpenter la colline des oliviers à sa recherche. Son
hôte m’avait confirmé sa présence et indiqué
que le rabbi méditait dans
- Salut, Maître !
Il s’est retourné lentement et
m’a regardé faire les derniers pas. Je remarquais son regard sérieux, grave,
presque attristé.
- Je te salue, Maître. Je suis
Judas de Kériot. Tu ne te souviens pas ?
- Je me souviens parfaitement de
toi. Avec Thomas, tu étais là quand j’ai guéri ce lépreux.
- Et tu m’as dit de réfléchir. Je
l’ai fait. C’est décidé : je viens.
- Mais pourquoi viens-tu, Judas ?
Le ton de la question était
étrangement las, triste !
- Mais... Je te l’ai dit l’autre
jour. Je rêve du royaume d’Israël, et je sais que tu en seras le Roi !
- Et c’est pour cela que tu viens
?
- Oui, pour me mettre totalement
à ton service. Mes biens, mes capacités, mes connaissances, mes amitiés, mes
relations, mon temps et ma fatigue, à ton service et à celui de ta mission :
reconstruire Israël, notre patrie.
- Je ne t’ai pas cherché, Judas.
- Je le vois bien, Maître. Mais
moi, je te cherchais. De puis de nombreux jours, j’ai placé des guetteurs
chargés de m’aviser dès ton retour. Tu vois que je n’ai pas tardé.
- Crois-tu que m’avoir trouvé
soit un bien pour toi ?
- Certainement ! Je te désirais,
je te cherchais !
- Pourquoi, pourquoi donc me
cherches-tu ?
- Mais je te l’ai dit, Maître !
Tu ne m’as pas compris ?
- Oh ! Que si ! Je t’ai compris.
Je voudrais que tu me comprennes moi, avant de me suivre. Viens, et parlons
tout en marchant...
-... Tu poursuis une ambition et
des idées humaines, Judas. Je dois t’en dissuader. Je ne suis pas venu pour
cela.
- N’es-tu pas l’Attendu annoncé
par les prophètes ? Bien d’autres l’ont prétendu mais ont été balayés par les
événements. Tes miracles attestent que Dieu est avec toi. La réussite de ta
mission est donc assurée.
- Oui, Dieu est avec moi. Je suis
son Verbe. Je suis celui que tous les prophètes ont annoncé, promis aux
patriarches et attendu par les foules. Mais pourquoi Israël est-il aveugle et
sourd au point de ne plus savoir lire, voir, entendre et comprendre le sens
réel des faits ? Mon royaume n’est pas de ce
monde, Judas. Renonce à tes idées. Je viens apporter la lumière et la gloire,
oui, mais pas celle de
- Ah ! Non, Maître. Cela, jamais. Si
tous te trahissaient, je te resterais fidèle et te défendrais !
- Toi, Judas ? Et sur quoi
bases-tu cette forte assurance ?
- Sur mon honneur d’homme.
- Chose plus fragile qu’une toile
d’araignée. C’est à Dieu qu’il faut demander la force d’être honnête et fidèle.
L’homme... Le pauvre, ne peut faire qu’oeuvre humaine. Or suivre le Messie dans
sa vérité et sa justice est faire oeuvre de l’Esprit. Pour faire cela, il faut
tuer l’homme et renaître. En es-tu capable ?
- Oui, Maître. Certes, tous en
Israël ne t’aimeront pas. Mais que des bourreaux et des traîtres à son Messie
viennent d’Israël, c’est impossible. Nous t’attendons depuis tant de siècles !
- Ce sera pourtant ainsi. Les
prophètes l’ont clairement annoncé. Je décevrai beaucoup de gens et tu es de
ceux-là, Judas. Je suis un doux, un pacifique, un pauvre qui veux le rester. Il
n’est pas question de m’imposer et de faire
- Tu me repousses ?
- Je ne repousse personne car je
suis l’amour. Comment qualifierais-tu l’acte de quelqu’un qui se sachant malade
et contagieux dirait à un autre désirant boire à sa coupe mais ignorant son mal
: « réfléchis à ce que tu veux faire ». Dirais-tu que c’est de la
malveillance ou de l’amour ?
- De l’amour. Il veut que
l’ignorant ne ruine pas sa santé.
- Interprète ainsi mon acte à ton
égard.
- Mais comment ruiner ma santé en
venant avec toi ?
- Tu peux ruiner beaucoup plus
que ta santé. Celui qui assassine en croyant faire justice mais sans connaître
la vérité sera comptable de peu. Mais celui qui
a connu la vérité, qui ne la suis pas et qui s’en fait l’ennemi sera
terriblement justiciable.
- Mais je ne saurais l’être !
Accepte-moi, Maître. Tu es le Sauveur, tu me vois pécheur, brebis égarée,
aveugle éloigné du chemin de
Un silence étrange a suivi. Il
s’est tu.
Maintenant, je sais.
- Jusqu’à la mort ! C’est exact.
Puis...
- Et puis, Maître ?
- L’avenir est dans la main de
Dieu, Judas. Va, demain nous nous retrouverons à la porte des poissons, au
point du jour.
- Merci, Maître. Le Seigneur soit
avec toi.
- Et sa miséricorde sur toi,
Judas.
J’avais gagné et j’étais heureux.
Enfin l’aurore de mes ambitions longuement mûries...!
Triste victoire dans l’éternité.