GUERISON MIRACULEUSE D’UN LEPREUX

 

 

 

Le lendemain dès la matinée, Didyme m’ayant rejoint, Nous nous mettions à la recherche de cette maison sur la colline des oliviers, en face de la ville dans la direction de Béthanie. Elle fut vite localisée grâce aux informations de mes indicateurs.

 

 

Dans un fossé en y arrivant, un répugnant lépreux était là qui nous implora de ne pas le dénoncer. Il ne dut la vie qu’à mon désir de retrouver au plus vite notre gaillard de la veille. En temps normal, je n’aurais pas toléré ce manquement grave aux lois les plus élémentaires et connues de tous. Ce lépreux y aurait certainement trouvé la mort qu’il méritait. Vous n’auriez pas eu de Saint Simon à qui vous recommander...

 

 

Le cultivateur nous confirma la présence chez lui d’un jeune rabbi galiléen avec ses disciples, mais le soir seulement. Il nous fallu attendre de longues heures. Il me confirma que cet homme était de Nazareth... Voilà qui confortait notre hypothèse ! Aimablement, le paysan nous offrit quelques vivres et de la boisson fraîche pour aider à passer le temps. Finalement, il nous invita à nous assoir dans sa cuisine pour attendre plus confortablement.

 

 

Son fils  vint nous avertir :

- Le rabbi et ses compagnons arrivent...

C’était bien l’homme du temple. Sa grande taille et sa musculature harmonieuse montrait une force toute en souplesse. Il était très calme dans ses gestes et son regard débordait de bonté. Son regard...! Impressionnant...! Je me sentis comme nu quand il me regarda. Il m’a semblé percevoir comme la lecture de mon être. Quatre grossiers Galiléens étaient avec lui.

- Ces deux hommes t’attendaient, Maître. Il y a aussi un lépreux qui est parvenu jusqu’ici. Il veut te voir. Il m’a supplié de ne pas le dénoncer. J’ai pensé bien faire en l’autorisant à stationner chez moi pour t’attendre, mais dans le fossé, à l’entrée.

- J’irai d’abord voir ce malade.

- Et nous, demanda un de ses disciples ? ... Une espèce de bougre de petite taille, trapu au visage vaguement bovin.

- Venez, et voyez, si vous voulez.

Curieux, Dydime et moi avons suivi.

 

 

Près du mur qui marquait la limite du domaine, dans le fossé où je l’avais vu, le malade était toujours là, se cachant comme il le pouvait. Voyant que le groupe marchait droit vers lui, il se dressa en criant :

- Arrière... Arrière, mais aussi pitié !

Laissant tomber le grand manteau sous lequel il cachait son mal et dégageant sa poitrine, il apparut dans toute son horreur. Immédiatement le groupe s’arrèta et eut  tendance à reculer. Mais le rabbi continuait d’avancer vers cette pourriture humaine.

 

 

La distance minimale règlementaire n’était plus respectée...! Cette transgression flagrante de la Loi me choquait. Et qu’elle soit le fait d’une autorité prétendant l’enseigner me parut aggravant. Oh ! Je n’étais pas naïf au point d’ignorer les accommodements fréquents de notabilités avec la Loi, mais au moins évitaient-ils de l’outrager devant témoins, et surtout pas s’agissant des règles vis à vis des lépreux !

 

 

- Tu es malade. Que veux-tu de moi ?

- Ne me maudis pas ! Ne me lapide pas ! On m’a dit que tu t’es manifesté au temple comme le Verbe de Dieu et le porteur de sa Grâce. On m’a dit qu’en élevant ton signe, tu guérissais toute maladie, alors, je t’en supplie, lève-le sur moi ! Je viens des tombeaux. J’ai rampé comme un serpent pour arriver ici sans être vu... J’ai osé. Le propriétaire des lieux est un homme bon, il ne m’a pas tué...

Nous manifestions tous notre dégoût. Seul le rabbi continuait.

- Je suis souillé ! N’avance pas plus !

 

 

Ils se regardaient, face à face. J’ai pensé à ce regard entrevu tout à l’heure. Le lépreux s’est effondré en larmes. Il gémissait.

- Ton signe ! Ton signe !

- Il viendra à son heure. Mais, je te le dis : relève-toi. Sois guéri. Je le veux. Sois pour moi un signe dans cette cité qui doit me connaître. Et ne pèche plus, en reconnaissance pour Dieu.

Dans les dernières clartés du soleil couchant, j’ai vu ce déchet d’humanité se redresser, émergeant lentement des herbes hautes. Les spectateurs dont j’étais constatèrent le miracle avant son bénéficiaire. La stupeur marqua tous les visages. Il fut plus lent à réagir mais se mit à crier :

- Guéri... Je suis guéri ! Que puis-je faire pour toi ?

- Obéir à la Loi. Va trouver le prêtre et sois bon désormais. Va.

Fou de bonheur, il fut sur le point de se jeter aux pieds de ce rabbi pour les embrasser. Mais il se souvint que la loi le lui interdisait. Il était encore comme impur, tant que sa guérison ne serait pas constatée par un prêtre. Manifestement à regret, il se contint, et pleurant de joie, il envoyait des baisers de la main vers son guérisseur.

 

 

Le rabbi, tournant délibérément le dos au lépreux guéri revenait vers notre groupe. Nous étions tous ébahis.

- Ce n’était qu’une lèpre de la chair, amis. Guérir les lèpres des coeurs sera une autre affaire. Vous vouliez me voir ? Me voici. Qui êtes-vous ?

Didyme était trop impressionné pour pouvoir répondre.

- Nous t’avons vu agir au temple avec les marchands et nous t’avons cherché jusqu’ici.

- Pourquoi ?

- Pour te suivre si tu veux de nous. Tu as des paroles de vérité.

- Me suivre ! Savez-vous seulement où je vais ?

- Non, Maître, mais assurément vers la gloire.

- La gloire..!  Oui. Mais pas celle de la terre, celle du ciel, celle qui se conquiert par la vertu et le sacrifice. Pourquoi voulez-vous me suivre ?

Cette insistance sur mes motivations et cette réticence auraient du m’alerter. Elles ne firent que m’irriter. Je m’obstinai :

- Pour avoir part à ta gloire.

- Selon le ciel ?

- Oui, selon le ciel.

Je ne mesurais aucunement le poids tragique de Ses questions et la puérilité de mes réponses. Maintenant, je sais.

- Ce n’est pas tout le monde qui peut y arriver. Ceux qui désirent le ciel sont plus attaqués par Satan que les autres. Il faut une volonté forte pour résister à ces attaques. Pourquoi vouloir me suivre si cela implique une lutte continuelle ?

- Notre esprit nous y pousse. Il est ta conquête. Tu es saint et puissant : nous voulons être tes amis.

- Amis...!

Il s’est tu, a soupiré, puis m’a regardé fixement. Moi et pas Didyme...

- Et qui es-tu, toi qui ne parles pas comme un homme du peuple ?

- Je suis Judas de Simon. J’appartiens au Temple. On m’y appelle « l’homme de Kériot ». J’attends le Roi des juifs annoncé par tous nos prophètes. C’est mon rêve. Ce roi, c’est toi. Je t’ai reconnu à ton action et tes paroles au Temple, hier. Prends-moi avec toi.

- Te prendre avec moi ? Maintenant, tout de suite... ? Non.

Ce non, je l’ai ressenti comme une gifle. Ce rabbi avait déjà des disciples, des Galiléens à peine dégrossis m’avait-il semblé. Et il me disait non, à moi, qui pouvais manifestement lui être plus utile que ses misérables compagnons.

- Mais... Pourquoi, Maître ?

- Il est préférable de bien évaluer ses possibilités avant de prendre une route dangereuse.

- Tu ne crois pas à ma sincérité ?

- Je crois à une impulsion, mais pas à ta constance. Réfléchis bien, Judas. Je reviendrai pour la Pentecôte. Tu me verras au Temple, si tu le veux. Mesure ce dont tu es capable.

Il s’est alors intéressé à Didyme.

- Et toi, qui es-tu ?

- Je t’ai vu à l’oeuvre hier. Je voudrais être avec toi. Mais maintenant, j’ai peur de ne pas être capable.

- La présomption, c’est la ruine. La peur peut être un obstacle. Mais si elle est suscitée par l’humilité, alors, c’est une aide. Ne crains pas. Réfléchis, toi aussi jusqu’à mon retour.

- Maître, tu es tellement saint ! J’ai peur de mon indignité, rien d’autre. Il n’y a aucune crainte dans mon désir de te servir et de t’aimer.

- Quel est tn nom ?

- Thomas. Mon surnom est Didyme

- Je me souviendrai de toi. Va en paix.

 

 

Il ne nous restait plus qu’à partir. J’étais troublé. Un mélange de déception, d’irritation, mais aussi d’inquiétude et de curiosité dominait ma pensée. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que mes ambitions puissent se heurter à une réserve aussi nette. Où m’étais-je trompé ? Quelle parole inadaptée avais-je laissé échapper ?

Je descendais la colline en pestant contre moi. Didyme qui me suivait rompit ma méditation.

- Judas... Je remonte parler à ce lépreux que le Maître a guéri. On se retrouvera au temple sous quelques jours.

L’évocation de ce lépreux me levait le coeur. L’attitude imprudente et illégale de ce rabbi me revint puissamment à l’esprit.

- Vas-y tout seul. Je l’ai assez vu.

 

 

Je dormis fort mal cette nuit là. La très forte personnalité de ce rabbi m’interpellait et ses réserves me faisaient bouillir. Etrangement, son regard s’imposait souvent dans mon souvenir... Oh ! Ce regard !

Le lendemain, vaquant à mes occupations habituelles au Temple, j’y cherchais Didyme pour échanger nos réflexions, mais vainement. Plusieurs jours passèrent. Thomas était invisible. Surpris, je lançais mes informateurs à sa recherche. Ils revinrent bredouilles. Il me fallut bien accepter l’évidence : Didyme avait disparu, et sans m’en avertir. Il avait interrompu sans préavis la collaboration passionnée qui nous unissait dans la recherche du Messie. Cette attitude ne lui ressemblait pas du tout. Ne m’avait-il pas dit que nous nous reverrions au Temple ?

 

 

Je n’y comprenais plus rien et me demandais vaguement si notre rencontre avec cet étrange rabbi n’était pas la cause de toutes ces perturbations.