MORT DE JOSEPH

 

Nous voici au début de l’an 25, en plein hiver. Il fait froid. Jésus travaille seul dans l’atelier de l’entreprise familiale. Il rabote des planches qu’il range ensuite, dressées contre le mur. Il libère  un objet de ses presses, en vérifie le bon équerrage dans tous les sens et entreprend de le vernir avec de l’enduit puisé dans une marmite au chaud dans la cheminée. Jésus est actif, rapide et précis dans ses gestes, très coordonné et sans aucune perte de temps ou d’énergie dans ses actes professionnels : le mélange de maîtrise et de routine efficace d’un véritable homme de l’art.

 

Pourtant son esprit est manifestement occupé ailleurs. Il guette les bruits extérieurs. Il lui arrive d’ouvrir la porte vers le village et de scruter ... Il attend quelqu’un qui ne vient pas. Il ferme la porte et retourne au travail.

 

Entrant par la porte côté jardin, Marie court vers lui :

- Jésus, viens vite, viens ! Il se sent mal.

Les lèvres tremblent de douleur anxieuse. Les larmes brillent dans les yeux rougis et fatigués.

- Maman...

Caresse du grand fils qui réconforte en posant son bras sur l’épaule, laisse son travail, quitte son tablier de cuir et suit Marie vers la maison.

 

Dans sa chambre, étendu sur une natte, Joseph est mourant. Le visage est livide, l’œil éteint, la respiration haletante, irrégulière, difficile. Marie se place à sa gauche, prend sa main, la frotte, la caresse, l’embrasse, essuie d’un linge la sueur qui brille aux tempes creusées, et aussi des larmes qui coulent des yeux. Elle tamponne les lèvres avec un linge imbibé de vin blanc. Marie pleure, discrètement. Mélange de réserve  et de courage. Elle aime son Joseph.

 

 

Jésus se place sur la droite de la couche. Il soulève avec précaution le corps affaissé, le redresse sur les oreillers, caresse affectueusement le visage de l’agonisant, cherchant à le ranimer. Joseph reprend conscience et regarde fixement Jésus. Il lui donne la main, comme pour signifier quelque chose et trouver dans ce contact, qu’il sait divin, la force de franchir l’ultime épreuve. Jésus reçoit cette main, se penche et l’embrasse. Apaisé, Joseph sourit, puis se tourne vers Marie et pose sa main sur sa tête en une caresse qui ressemble à une bénédiction.

 

 

Jésus se lève, prend un tabouret, y fait asseoir Marie en disant simplement :

- Maman...

 

 

Puis il reprend sa place, et tout près de l’oreille de Joseph, il entreprend la récitation de nombreux extraits des Psaumes mais en choisissant des phrases les plus  réconfortantes pour le mourant :

« Protège-moi Seigneur car en Toi j’ai mis mon espoir ... Au profit des saints qui sont sur sa terre, Il a rempli merveilleusement tous mes désir s... Je bénirai le Seigneur qui me donne  ses conseils ... J’ai toujours, en ma présence, le Seigneur. Il se tient à ma droite pour que je ne chancelle pas ... Aussi mon cœur se réjouit et ma langue exulte. Mon corps lui aussi reposera dans l’espérance ... Car Tu n’abandonneras pas mon âme au séjour des morts et Tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption ... Tu me feras connaître les chemins de la vie. Tu me combleras de joie par la vue de ta face ... »

Joseph se réanime tout à fait. Le regard se fait présent, il sourit à Jésus et serre ses doigts. Jésus répond par une caresse et continue avec douceur :

« Qu’ils sont aimables, Seigneur, tes Tabernacles ... Mon âme se consume de désir pour les parvis du Seigneur ... Le passereau aussi trouve un abri, et la tourterelle un nid pour ses petits. Moi je désire tes autels Seigneur ... Bienheureux ceux qui habitent ta maison ... Bienheureux l’homme qui trouve en Toi sa force. Il a disposé son cœur à monter de la vallée des larmes au lieu qu’il a choisi ... Seigneur, écoute ma prière ... O Dieu, tourne Ton regard et contemple la face de ton Christ ... »

Joseph, avec un sanglot, regarde Jésus et remue les lèvres comme pour le bénir ... Il comprend mais ne peut plus parler. Il est cependant heureux dans un regard plein d’amour et de confiance en son Jésus.

« Oh Seigneur, Tu as été favorable à ta terre. Tu as délivré Jacob de la servitude ... Montre-nous Ta miséricorde et envoie-nous le Sauveur ... Je veux écouter ce que dit le Seigneur au-dedans de moi. Sûrement, c’est de paix qu’Il parlera à son peuple, pour ses saints et tous ceux qui ont le cœur tourné vers Lui ... Oui, ta santé est proche ... Et la gloire habitera sur la terre ... Bonté et vérité se sont rencontrées et justice et paix se sont embrassées. La vérité s’est levée de la terre et la justice a regardé du ciel .... Oui le Seigneur montrera Sa bienveillance et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant Lui et laissera sur la route l’empreinte de ses pas »

- Tu as vu cette heure, père et tu lui as donné toute ta vie. Tu t’es fatigué pour elle. Tu as aidé son arrivée et le Seigneur t’en récompensera. Je te le dis.

Jésus essuie une larme de joie qui descend sur la joue de Joseph.

« O Seigneur souviens-toi de David et de toute sa mansuétude ... Comme David  en  fit le serment au Seigneur : Je n’entrerai pas dans ma maison, je ne monterai pas sur mon lit de repos, je n’accorderai pas de sommeil à mes yeux, de repos à mes paupières, de relâche à mon esprit, tant que je n’aurai pas trouvé une place pour le Seigneur, une demeure pour le Dieu de Jacob ... Lève-toi, Seigneur, et viens au lieu de ton repos, Toi et ton Arche sainte ... »

Marie comprend et fond en larmes.

 « Pour l’amour de David ton serviteur, ne nous cache pas le visage de Ton Christ ... Le Seigneur l’a juré par serment à David : Je mettrai sur ton trône le fruit de ton sein ... Le Seigneur l’a choisi pour sa demeure ... Je ferai fleurir la puissance de David. Je préparerai pour mon Christ un flambeau allumé ... »

- Merci mon père, en mon nom et au nom de ma Mère. Tu as été pour Moi un père juste et l’Eternel t’a confié la garde de Son Christ et de Son Arche Sainte. Tu as été le flambeau allumé pour Lui et pour le fruit d’un sein sanctifié. Tu as eu des entrailles de charité. Va en paix, père. Ta veuve ne sera pas sans secours. Le Seigneur a tout disposé pour qu’elle ne reste pas seule. Je te le dis : va en paix au lieu de ton repos.

Marie pleure. Joseph s’en va. Son corps se refroidit, la respiration s’affaiblit, il ne reste qu’un souffle, le regard se voile. Jésus reprend :

« Heureux l’homme qui craint le Seigneur et met toute sa joie à lui obéir ... Sa justice demeure dans les siècles des siècles ... Parmi les hommes droits il se lève au milieu des ténèbres, le miséricordieux, le bienveillant, le juste ... Le souvenir du juste sera éternel ... Sa justice est éternelle, Sa puissance s’élèvera jusqu’à la gloire ... »

- Tu l’auras cette gloire mon père. Je viendrai bientôt pour t’emmener avec les Patriarches qui t’ont précédé vers la gloire qui t’attend. Que ton esprit exulte à ma parole.

« Qui repose dans l’assistance du Très-Haut vit sous la protection du Dieu du ciel »

- C’est là que tu es, mon père.

 « Il m’a délivré des filets des chasseurs et des paroles méchantes ... Il te couvrira de ses ailes, et sous ses plumes tu trouveras refuge ... Sa vérité te protègera comme un bouclier, tu ne craindras pas les frayeurs de la nuit ... Le mal ne s’approchera pas de toi, car Il a donné l’ordre à Ses anges de te garder sur ta route. Ils te porteront en leurs mains pour que ton pied ne heurte pas les cailloux ... »

- Tu as placé ton espérance en Dieu, O père, Il te dit qu’Il te libérera et te protégera.

Pour les derniers instants de Joseph sur cette terre, Jésus Verbe de Dieu et inspirateur des Psaumes par l’Esprit Saint, use alors d’un langage où les Psaumes et la parole de circonstance deviennent indiscernables. Dieu en personne parle et assiste le grand patriarche pour le grand passage :

- Tu marcheras sur l’aspic et le basilic et tu fouleras au pied le dragon et le lion. Parce que tu as espéré dans le Seigneur, Il te dit, ô père, qu’Il te libérera et te protégera. Tu as élevé ta voix vers Lui, Il t’exaucera. Il sera avec toi dans la dernière épreuve. Il te glorifiera après cette vie en te faisant voir dès ici, Son Salut. Il te fera entrer dans l’autre vie par le salut qui dès maintenant te réconforte et qui promptement viendra, je te le répète, te serrer dans un embrassement divin, pour t’emporter avec Lui, à la tête de tous les Patriarches, là où est préparée la demeure du Juste de Dieu qui fut pour moi un père béni.

Jésus élève la voix pour arriver jusqu’à l’esprit de Joseph qui s’enfonce dans la mort. Il ne respire pratiquement plus. Marie caresse une main qui se refroidit et ne réagit plus du tout...

- Précède-Moi pour annoncer aux Patriarches que le Salut est venu en ce monde et que le Royaume des Cieux leur sera bientôt ouvert. Va père, ma bénédiction t’accompagne.

A cet instant Joseph n’est plus. Marie, tendue, pleurante, le sait comme Jésus. Elle rentre la tête dans les épaules et libère toutes ses larmes. Jésus ferme les paupières du vieil homme défunt, l’embrasse au front, recouvre la tête en remontant la couverture, et au-dessus du corps gisant, Il étreint sa maman pour la réconforter.

La mort de Joseph c’est  la Sainte Famille déjà dans l’éternité. C’est aussi la fin de la vie cachée et le début très prochain de la vie publique. Jésus va achever les commandes en cours, consommer son stock de bon et beau bois sec, laisser Marie se rétablir après le choc de la mort de son époux bien-aimé. Puis il commencera la mission dont il sait parfaitement où elle le mènera.

 

 

Au Golgotha.

 

 

(Mathieu 3, 1-6) … En ces jours-là arrive Jean le Baptiste, prêchant dans le désert de Judée, et disant : « repentez-vous, car le royaume des cieux est tout proche »… Et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés.