JESUS ET LES DOCTEURS
(Luc 2- 41 et 42) « Ses parents se rendaient chaque année à
Jérusalem pour la fête de
Au temple, une bonne partie de l’enseignement des docteurs est donné à
leurs disciples publiquement et sous la forme de joutes oratoires,
intellectuelles et théologiques. Les maîtres ou les disciples avancés
s’affrontent sur des sujets volontiers polémistes dans lesquels peuvent briller
les qualités intellectuelles et les connaissances des orateurs. La foule des
fidèles, venue pour prier, s’arrête souvent, retenue par le sujet d’un débat en
cours. Tout ceci se passe à l’abri des portiques, sortes de déambulatoires
couverts en appentis le long des murs périphériques des grandes cours.
Evidemment, les groupes d’auditeurs sont plus compacts et nombreux autour des
grands maîtres.
Aujourd’hui il y a foule car deux sommités s’affrontent. Le groupe de
Hillel avec son élève Gamaliel,Œ développe des idées larges, généreuses, ouvertes. L’opposition est
vive de la part des élèves du grand rabbi Sciammai
qui vitupèrent sur des arguments de strict légalisme, de traditionalisme replié.
Le thème de la discussion est précisément la venue du Messie et la
prophétie de Daniel, déjà évoquée dans notre récit avec l’interprétation
prophétique et exacte qu’en fit Marie. Le groupe de Hillel, Gamaliel en tête,
affirme que le temps du Messie est arrivé. Sciammai
les contredit en affirmant qu’Israël est en esclavage sous le joug romain et
que ce climat n’est certes pas celui qui convient au « Prince de la
paix » annoncé par les prophètes ... Chacun fait étalage d’érudition et
d’arguties, mais sans parvenir à imposer son point de vue.
Sur un bref silence, une voix claire d’enfant mais pleine d’assurance,
monte de la foule :
- C’est Gamaliel qui a raison !
Le silence s’installe dans
Mais pas besoin de chercher car Jésus ne se cache pas et s’approche du
groupe des rabbis, sans aucun complexe ni effronterie, toujours souverainement
libre.
- Mais qui es-tu ?
- Un fils d’Israël venu accomplir la loi.
Cette belle réponse sur la bouche d’un tout jeune adolescent lui gagne
immédiatement la sympathie de la foule.
- Quel est ton nom ?
- Jésus de Nazareth.
Un Nazaréen ! La bienveillance s’atténue immédiatement dans le groupe
de Sciammai. Gamaliel, plutôt bienveillant incite
respectueusement Hillel son grand maître à interroger lui-même l’enfant. Avec
douceur le vénérable vieillard questionne :
- Sur quoi fondes-tu ton affirmation ?
- Sur les prophéties. Elles ne sauraient nous tromper ni sur les délais
qui sont écoulés, ni sur les signes qui ont accompagné leur accomplissement.
Certes, Rome domine notre peuple, mais le monde est tellement paisible qu’il
fut possible à César d’ordonner un recensement quand les soixante-dix semaines
de Daniel expirèrent. Nous attendons maintenant la suite de l’oracle : la
consécration du Messie pour le peuple qui ne l’a pas accepté. Chacun se
souvient de l’étoile qui mena à Jérusalem, puis à Bethléem les trois sages
venus d’Orient. Tous les oracles désignent Bethléem comme lieu de naissance du
Messie.
Sciammai, le regard effrayé, interroge :
- Tu dis que le Messie est né à Bethléem au temps de cette étoile et de
ces voyageurs ?
- Oui, c’est ce que j’affirme.
- Ne sais-tu pas, enfant, qu’Hérode fit massacrer tous les garçons de
un jour à deux ans, dans tout Bethléem et ses environs. Toi qui connais si bien
les Ecritures, tu sais ce que signifie : « Un cri s’est élevé... c’est
Rachel qui pleure ses enfants ». La mère du Messie était donc parmi ces
femmes !
- Tu te trompes, vieillard.
- Mais comment pourrait-il le faire s’il a été tué ?
- N’as-tu pas lu que le Seigneur enleva Elie dans un char de feu, qu’Il
ouvrit la mer devant Moïse et son peuple ! Et Il n’aurait pas été capable de
sauver Son Emmanuel de la folie d’Hérode ! En vérité je vous le dis : Le Christ
vit. Il est parmi vous, et quand son heure sera venue, il se manifestera dans sa
puissance.
C’est un enfant qui parle ainsi aux plus hautes sommités théologiques
de l’époque. A leurs yeux, il est évident que l’Esprit de Dieu s’est saisi de
ce tout jeune adolescent qui sait rester humble, respectueux, mais dans une
force de parole qui désigne un prophète.
Attentif et bienveillant, mais impressionné, Hillel poursuit :
- Qui t’a enseigné ces paroles ?
- L’Esprit de Dieu. Je n’ai pas de maître humain. C’est la parole de
Dieu que vous entendez par ma bouche.
Il n’y a aucune forfanterie chez Jésus. Et cette affirmation,
volontairement équivoque dans sa bouche, ne suscite aucune protestation. Le
vieux maître, rendu presque aveugle par l'âge, est ému :
- Viens près de moi enfant, que je puisse te voir. Mon espérance se
ravive au contact de ta foi et mon âme s’illumine au jeune soleil de la tienne.
On donne un siège à Jésus, entre Hillel et Gamaliel. On lui apporte des
rouleaux pour qu’il les lise et les explique... Tous sont à cent lieues
d’identifier à « Qui » ils ont affaire. Mais à cette époque, on
prenait très au sérieux la puissance de l’Esprit, même sur un enfant. Chacun
avait bien en mémoire le récit de la vocation de Samuel : « ... Parle Seigneur, ton serviteur écoute »
La voix argentine de Jésus porte loin :
-... Console-toi Ô mon peuple, parlez au
cœur de Jérusalem, consolez-la car son esclavage est fini ... Une voix crie
dans le désert : Préparez les chemins du Seigneur ... Alors paraîtra la gloire
du Seigneur ...
Sciammai attaque, méprisant :
- Tu le vois, Nazaréen ... On parle de la fin de notre esclavage, or
nous sommes asservis comme jamais, et sur notre propre terre. Et ce précurseur,
où est-il ? Tu délires.
- C’est surtout à toi et à tes semblables que s’adressera le
précurseur. Autrement, tu ne verras pas la Gloire du Seigneur et tu ne
comprendras pas la parole de Dieu. La bassesse, l’orgueil, la dissimulation t’empêcheront de voir et d’entendre.
Sciammai s’empourpre :
- Mais... C’est ainsi que tu parles à un maître !
Comme hors d’atteinte de la passion orgueilleuse qui attise
l’agressivité de Sciammai en réjouissant les
auditeurs du groupe de Hillel, Jésus rétorque fermement mais calmement :
- C’est ainsi que je parle et parlerai jusqu’à
- Mais tu blasphèmes enfant ! Daniel affirme qu’après la mort du Christ
le temple et la cité seront détruits. Tu affirmes
l’inverse ! Respecte les prophètes !
- En vérité je te dis qu’il y a « Quelqu’un » qui est plus
grand que les prophètes. Tu ne le connais pas. Et tu ne le connaîtras pas. Car
il te manque de vouloir Le connaître. Je t’affirme que tout ce que j’ai dit est
vrai : Le sanctuaire ne connaîtra plus
Toujours très attentif, Hillel questionne :
- Enfant, quand Aggée dit : « Il viendra le désir des nations. Grande sera la gloire de
cette maison, et de cette dernière plus que de la première »,
veut-il parler du même sanctuaire que toi ?
- Oui maître. C’est ce qu’il veut dire. Ta droiture t’achemine vers la
lumière et moi je te dis : quand le sacrifice du Christ sera accompli, la paix
viendra vers toi. Car tu es dépourvu de malice.
- Mais dis-moi Jésus, demande Gamaliel, que sera cette paix dont
parlent les prophètes si la guerre détruit ce peuple et son temple ? Parle et
éclaire-moi aussi.
- Souviens-toi maître ce que racontèrent les témoins de la naissance du
Christ. Les troupes angéliques chantaient : « Paix
sur la terre aux hommes de bonne volonté ». Mais la volonté de
ce peuple n’est pas bonne. Il n’y aura donc pas
- Mais tu profères à la fois des enfantillages et des blasphèmes,
Nazaréen ! Réponds-moi, demande Sciammai, où est le
précurseur ? Quand l’aurions-nous eu ?
- Il existe. Il est déjà là, comme le Christ. Quand vous verrez ce
précurseur vous pourrez dire : « La mission du Christ est
commencée ». Rabbi, quand Il viendra, le Christ ouvrira beaucoup d’yeux et
beaucoup d’oreilles, mais pas les tiens ni ceux de tes semblables. Car vous lui
donnerez la mort en échange de la vie qu’il vous apporte.
On s’agite ferme dans l’entourage de Sciammai
:
- Ce Nazaréen est Satan !
Hillel, Gamaliel et leurs élèves le soutiennent :
- Non, cet enfant est un prophète de Dieu. Reste avec nous, petit. Ma
vieillesse te transmettra tout ce qu’elle sait et tu seras Maître du peuple de
Dieu.
- En vérité, si beaucoup étaient comme toi, le salut arriverait en
Israël. Les voix du ciel me parlent, et je dois les accueillir dans la solitude
car mon heure n’est pas encore venue. Quand elle le sera, je parlerai à
Jérusalem. Mon sort sera celui des prophètes : lapidé et assassiné.
Attendez-moi à cette heure. Ces pierres entendront de nouveau ma voix et elles
frémiront à ma dernière parole.
Stupéfait comme tous, Gamaliel enregistre cette promesse. Plus tard,
dans une vingtaine d’années, Jésus y fera référence, plusieurs fois face à son
doute, mais aussi à son honnêteté et à sa grande intégrité. Cette promesse
brûlera le cœur de Gamaliel... Mais trop tard.
Œ Nous retrouverons Gamaliel plus loin dans notre récit.
Gamaliel sera le maître de Saul de Tarse le futur St Paul. Parmi
ses élèves, il y aura aussi un certain Etienne qui le quittera pour suivre
Jésus. Gamaliel aura suffisamment de grandeur d’âme pour ne pas s’en émouvoir
car il reconnaîtra en Jésus un maître « qui m’est supérieur »
affirmera-t-il à plusieurs occasions. Mais le poids de tout son immense savoir
et la pesanteur des honneurs qui résultent de sa grande notoriété,
l’empêcheront de reconnaître en Jésus le Christ de Dieu. Il ne comprendra que
dans les minutes qui suivront la mort de Jésus... Et le ressuscité ne lui
apparaîtra pas ... Il est la parfaite illustration de "... ce que tu
caches aux sages et intelligents, tu le révèles aux tout-petits devant le
Seigneur..."
C’est lui aussi qui conseillera avec sagesse de cesser les
persécutions contre les disciples en disant que si Dieu est avec eux il est
vain de vouloir s’y opposer, mais que si Dieu n’est pas avec eux, leur
mouvement retombera de lui même.