L’EXAMEN DE LA MAJORITE
A Jérusalem, c’est jour de fête au temple. La foule des grands jours
est là qui envahit les abords, se bouscule aux portes, traverse les cours, les
atriums et les portiques.
Dans cette foule, chantant les psaumes à pleine voix, le groupe de la
famille de Jésus s’avance, les hommes devant, les femmes derrière qui restent
dans leur cour quand les hommes seuls s’approchent du Saint des Saints.
Joseph prend Jésus avec lui et se dirige vers une vaste salle, parle
avec un lévite qui s’absente pour revenir avec des personnages âgés et très
dignes. Ce sont les autorités habilitées pour l’examen des jeunes candidats à
- Voici mon fils. Depuis trois lunes et douze jours, il a franchi l’âge
minimum que la loi prescrit et je veux qu’il soit majeur. Je vous prie de
considérer sa stature. Elle montre qu’il est sorti de l’enfance. Je vous
remercie de procéder avec bienveillance et justice pour juger ce que, moi son
père, j’affirme comme vrai. Je l’ai préparé pour cette heure. Il connaît la
loi, les préceptes, les traditions, les décisions, les coutumes des parchemins
et des phylactères. Il sait les prières et les bénédictions. Connaissant l’Hascalscia, les Midrascs et
l’Agada, il peut se conduire en homme. Je désire donc être libéré de la
responsabilité de ses actes. Examinez-le.
- Nous allons le faire. Avance enfant. Ton nom ?
- Jésus, de Joseph de Nazareth.
- Nazaréen... et tu sais lire ? Question vaguement narquoise que Jésus
relève à sa manière, très respectueuse mais déconcertante :
- Oui Rabbi. Je sais lire les paroles écrites et celles qui sont
cachées derrière.
- Que veux-tu dire ?
- Je comprends l’allégorie ou le symbole qui se cachent sous
l’apparence, comme la perle se cache dans une coquille grossière et fermée.
- Réponse sage et peu commune, bien rare sur les lèvres d’un adulte ...
Et cet enfant est Nazaréen !
Du coup voici l’attention du jury bien éveillée. Tous regardent ce bel
enfant blond qui les attend, respectueusement, sans aucune crainte ni
effronterie, dans une souveraine liberté qui les interpelle.
- Ton maître est assurément très savant. Tu lui fais honneur.
- La sagesse de Dieu réside dans son cœur juste.
- Mais écoutez... ! Heureux es-tu père d’un tel fils !
Joseph savoure le quiproquo, sourit et salue en s’inclinant. On donne
trois rouleaux à Jésus :
- Lis celui qui a un ruban doré.
Jésus obéit. Il lit le décalogue. Après les premiers versets un juge
lui enlève le rouleau :
- Continue...
Et Jésus continue, plein d’assurance, comme s’il avait le texte sous
les yeux. Chaque fois qu’il prononce le nom du Seigneur, il s’incline
profondément.
- Qui t’a enseigné cela ? Pourquoi le fais-tu ?
- Parce que ce nom est saint. On ne doit le prononcer qu’avec les
marques extérieures et intérieures du plus grand respect. Devant un roi qui
n’est que poussière éphémère, les sujets s’inclinent. Devant le Roi des rois,
l’Eternel et Très Haut Seigneur d’Israël, présent pour l’esprit même s’Il est
invisible, toute créature doit s’incliner.
Certes, la voix est encore enfantine, mais elle flambe de la force
respectueuse et amoureuse si caractéristique du don de crainte Œ évidemment présent en
plénitude chez Jésus, et chez lui seul pour toute l’Histoire.
Le questionneur est enthousiaste :
- Bravo homme ! Nous te conseillons de faire instruire ton fils par
Hillel ou par Gamaliel. Certes, il est nazaréen mais ses réponses indiquent
qu’il peut être un nouveau grand docteur.
Joseph s’incline et répond :
- Dès qu’il sera majeur, mon fils agira comme il le voudra. Si sa
volonté est honnête, je ne m’y opposerai pas.
Un autre rabbi reprend les questions, mais manifestement avec la
curiosité bienveillante de voir jusqu’où est capable d’aller ce jeune
phénomène. Ses collègues entrent dans le jeu :
- Ecoute enfant. Tu as dit que le repos du sabbat devait être absolu,
pour tous, hommes et bêtes. Mais si une poule pond un œuf le jour du sabbat, ou
si une brebis met au monde son petit un jour de sabbat, cet œuf ou cet agneau,
faut-il les considérer comme abominables ?
Sans précipitation, avec une maîtrise surprenante, mais sans paraître
se donner le temps de la réflexion, Jésus répond :
- Beaucoup de rabbins, tels Sciammai
actuellement, affirment que l’œuf et l’agneau sont impurs pour ne pas avoir
respecté le sabbat. Je pense qu’il faut distinguer l’homme de l’animal. Si
j’oblige une bête de somme à travailler un jour de sabbat, je me charge de son
péché. Mais si, un jour de sabbat, la poule pond son œuf ou la brebis donne son
agneau, c’est parce que le temps imparti par les règles naturelles voulues par
le Créateur est arrivé. Cet œuf ou cet agneau peuvent être regardés comme
sacrés, même pour l’autel du Seigneur. Ils sont le fruit de l’obéissance au
Créateur.
- J’arrête l’examen ! Sa sagesse surpasse celle des adultes. Il est
étonnant.
- Non. Il a parlé du discernement des symboles. Voyons ça...
Là, ça va tourner aux exercices proposés à la curiosité, comme au
cirque...
Les autres ajoutent :
- Qu’il dise un psaume...
-... Les bénédictions et les prières...
- Oui, et les Midrasciots...
Imperturbable, Jésus commence la récitation de l’interminable litanie
des « ne pas faire ceci »... « ne pas faire cela »... Il y en a plus de six
cents et ça risque de durer...
- Cela suffit. Ouvre le rouleau avec le ruban vert et lis.
Jésus obéit.
- Suffit ! Vois-tu un symbole ?
- Dans la parole de Dieu, il est rare qu’il n’y en ait pas. C’est nous
qui ne les discernons pas et ne les appliquons pas. J’ai lu (Deuxième livre des Rois 22- 8 et suivants) « ... Le grand prêtre dit
: J’ai trouvé le livre de la loi dans le temple de Yahvé... Le scribe annonça
au roi : le prêtre m’a donné un livre... Il le lut devant le roi... En
entendant les paroles contenues dans le livre de la loi, le roi déchira ses
vêtements... et donna cet ordre... allez consulter Yahvé pour moi et pour le
peuple à propos de ce livre qui vient d’être trouvé. Grande doit être la colère
de Dieu... Nos pères n’ont pas obéi aux paroles de ce livre, en pratiquant tout
ce qui y est écrit »
- C’est assez ! Cela s’est passé il y a plusieurs siècles. Quel symbole
vois-tu dans cette chronique ancienne ?
- Je trouve qu’il ne faut pas limiter dans le temps ce qui est éternel.
Dieu et notre âme sont éternels. Les rapports entre Dieu et l’âme sont
éternels. Ce qui a provoqué des châtiments il y a plusieurs siècles produit les
mêmes effets aujourd’hui.
- Explique-toi.
- Israël ne connaît plus la sagesse qui vient de Dieu. C’est à Dieu et
pas à de pauvres humains qu’il faut demander
- Nous n’aurions plus la science ? Mais que dis-tu là, enfant ! Et nos
six cent treize préceptes ?
- Des mots, que nous ne mettons pas en pratique. Donc nous ne les
connaissons pas. Voici le symbole : Tout homme, en tout temps, a besoin de
consulter le Seigneur pour connaître Sa volonté, y adhérer, et se placer ainsi
sous Sa protection.
- Cet enfant est parfait. L’examen est terminé. Qu’on le conduise à la
synagogue.
Dans une autre salle, plus vaste et plus décorée, la chevelure de Jésus
est d’abord raccourcie. Joseph recueille quelques belles boucles, et nous
devinons pour qui ! Puis une grande ceinture d’adulte est mise en place... elle
fait plusieurs fois le tour de
Quand ils retrouvent toute la famille qui attendait à l’extérieur, on
achète un agneau qui est offert au sacrificateur.
Marie regarde longuement son grand garçon. Fils et maman, les yeux dans
les yeux, gravement.
Œ Le don de crainte est un des
7 dons du Saint Esprit. La « crainte de Dieu » n’est
évidemment pas « la peur de Dieu », mais la conscience très aiguë,
donnée par l’Esprit, de notre état de créature totalement dépendante de Son
Créateur. St Thomas parle d’une « crainte révérencielle amoureuse ».
En sa dimension humaine, Jésus réalise parfaitement la plénitude des effets de
ce don-là. Comme des six autres, par sa totale communion avec la Trinité que sa
dimension divine incarne en totalité.