LA MAJORITE : LES PREPARATIFS
Par une journée glaciale d’hiver, Marie s’affaire dans le jardin à
Nazareth. Couverte d’un manteau lourd et chaud, elle agite un bâton dans une
vasque de terre cuite remplie d’un bain de teinture. Trempant un doigt dans la
mixture, elle essaye la couleur résultante
sur son tablier. Cela donne un beau rouge dont elle semble satisfaite.
Des écheveaux de laine très fine attendent sur des tréteaux. Un par un, elle
les plonge dans la teinture.
Sortant de l’atelier de Joseph, Marie d’Alphé
la rejoint :
- Cela réussit ?
- Oui, j’espère bien !
- Le Romain qui m’a échangé tes broderies contre cette teinture m’a
affirmé qu’elle est utilisée à Rome. Il s’est aussi étonné de la beauté de tes
broderies, même à Rome on n’en trouve pas de pareilles. Tu dois te crever les
yeux !
Marie sourit :
- Ce n’est rien...
Présentant les derniers écheveaux, la cousine remarque :
- Ta laine, on dirait des cheveux tant elle est fine et régulière,
comment t’y prends-tu pour faire si bien et si vite... ? Ces derniers écheveaux
vont être plus clairs...
- Oui ce sera pour
On achève
- Avec ce vent sec et froid, ça va sécher vite.
- Viens, entrons chez Joseph. Il y a du feu. Tu dois être gelée. Merci
pour ton aide.
Quelques semaines plus tard, nous voici au printemps de l’an 7.
Jésus a maintenant douze ans. C’est un grand et très beau garçon, bien
développé. L’éternelle jeunesse de Marie pourrait conduire à le croire frère
cadet de sa mère. Sa chevelure, blonde et frisée, arrive aux épaules de
Joseph, Alphé, son épouse et les cousins sont
également là car Jésus va prendre la route de Jérusalem pour subir, au temple,
l’examen qui fera de lui un adulte seul responsable de ses actes devant Dieu et
les hommes.
- Voilà notre fils, dit Marie.
Joseph sourit à cette affirmation dont lui seul, avec Marie et Jésus,
connaît le vrai sens.
- ... Avant le départ, Joseph, bénis-le, et bénis-moi avec lui.
Marie étouffe un sanglot. Toujours Isaïe qui frappe à son cœur et lui
rappelle que les années passent et que « Le Jour » approche.
- ... Oui, bénis-nous, ça lui donnera la force, et à moi le courage de
m’en séparer un peu plus.
- Marie, Jésus sera toujours à
toi. Je ne te disputerai pas ce fils. Personne ne mérite comme toi de le guider
dans la vie !
Bon et saint Joseph ! Qui cependant ne partage pas la lucidité
spirituelle de la sainte mère. Certes pour lui aussi Jésus est « Le
Rédempteur », mais il ne ressent pas comme Marie, en sa chair, la douleur
des prophéties du serviteur souffrant. Pour Marie, la passion a commencé dès
l’Annonciation, en pleine communion avec
Joseph met alors la main droite sur la tête de Marie, la gauche sur la
tête blonde de Jésus. Il est très solennel :
- Oui je te bénis et Jésus avec toi. Vous mes seules joies, mon
honneur, ma vie. Que le Seigneur vous garde et vous bénisse. Qu’il ait pitié de
vous et vous donne
Puis, comme pour cacher pudiquement
sa profonde émotion :
- ... Il est temps, partons. C’est l’heure favorable pour le voyage.