STRATEGIE PEDAGOGIQUE DE LA SAINTE FAMILLE

Le cousin Jacques est méditatif :

- Comment Jésus fait-il pour se rappeler, par cœur, sans faute, des psaumes, des cantiques et ... tout ce qu’il nous a récité ?

Marie sourit.

- Il a une excellente mémoire. Il est aussi très attentif quand je fais la lecture de la loi et de la parole.

Jacques constate avec lucidité :

- A l’école, je suis attentif, mais toutes ces lamentations me font dormir. Je n’apprendrai jamais rien !

- Mais si. Tu apprendras, affirme Marie

Des coups retentissent à la porte de la rue. Joseph va ouvrir.

- Alphé, Marie ! Avez-vous fait bon voyage ?

- Excellent, pas de difficulté. Et les enfants ?

- Ils sont au jardin avec Marie.

Un char robuste, attelé à un âne stationne dans la rue. Le neveu Alphé, notre croqueur de fouaces, et son épouse également prénommée Marie, reviennent d’un voyage. Voilà pourquoi Joseph et Marie faisaient du baby-sitting.

Jude et Jacques se précipitent dans les bras de leur mère dès sa descente du char. Marie arrive, tenant Jésus par la main. Les deux jeunes femmes s’embrassent.

- Ont-ils été sages ?

- Tout à fait. Comment vont les parents ?

- Tout va très bien. Ceux de Cana vous envoient des cadeaux : du raisin, des pommes, du miel et des bons fromages. Tout est là.

- Joseph ! Viens voir, demande Alphé. Je pense avoir trouvé ce que tu m’avais demandé pour Jésus. C’est sur le char : dans le gros panier rond.

La tantine Marie d’Alphé éclate de rire et embrasse Jésus qui la regarde, interrogatif.

- Devine ce que j’ai pour toi ?

Jésus réfléchit et ne trouve pas. Veut-il donner à Joseph la joie de lui faire une surprise ? Nul ne peut le dire.

Joseph décharge le panier rond,  le pose à terre devant Jésus, dénoue la corde qui maintient le couvercle, le lève ... Une petite brebis, intégralement blanche, apparaît, pas bien réveillée du voyage, sur une litière de foin très propre.

Jésus pousse un « Oh » ravi, mais délaisse un instant l’animal dont la beauté émouvante l’attire, pour sauter au cou de Joseph qu’il embrasse abondamment en le remerciant.

Jude et Jacques admirent la brebis.

Toute leur attitude exprime silencieusement la question : « Et nous... ? »  On extrait la brebis de son panier. Elle cherche l’affection de sa mère et bêle désespérément. Jésus lui présente une  poignée de trèfle arrachée au talus de la rue. Calmée, elle la broute avec ardeur en promenant son doux regard alentour.

- Pour moi ... ? Merci Père, merci !

- Elle te plaît, demande Joseph ?

- Oh oui. Tellement ! Elle est toute blanche, toute propre, et une agnelle. Et Jésus enlace tendrement le cou de l’animal, tête blonde dans la laine blanche.

Du coin de l’œil, Alphé observe ses deux fils :

- Il y en a une pour chacun. Mais les vôtres sont noires. Vous n’êtes pas soigneux comme Jésus. Si je  les avais choisies blanches, vous ne les auriez pas entretenues. A trois, ce sera votre troupeau. Vous les garderez ensemble. Ainsi, vous deux ne flânerez plus sur les routes à lancer des pierres comme des garnements.

On achève le déchargement, et tout le monde quitte la rue, y compris les animaux. Dans le jardin, les enfants s’occupent à leur nouvelle fonction de pastoureaux. Jésus décide d’appeler sa brebis « Neige ». C’est lui qui nomme « Etoile » celle de Jude et « Flamme » celle de Jacques. Les cousins marquent leur accord total et confiant. Il est évident que, spontanément, Jésus a autorité sur eux, et que cette autorité ne leur pose aucun problème, au contraire.

Dans la grande salle  de la maison, les adultes se restaurent autour de la table sur laquelle sont posés du pain, des olives, du fromage et une amphore de cidre.

- Merci pour ton idée de la brebis à Jésus, dit Alphé à Joseph. Je me suis dit qu’avec une brebis chacun, ce début de troupeau garderait mes garnements plus tranquilles. Les réclamations des parents d’autres galopins mis à mal par les miens deviennent insupportables. Un peu d’école ... Un peu de brebis ... Je  vais enfin  avoir la paix ! Surtout si Jésus est avec eux. Mais, dis-moi Joseph, voilà Jésus en âge d’aller à l’école avec notre rabbin ?

Sans laisser à Joseph le temps de répondre, mais sans non plus lui couper la parole, Marie énonce doucement mais très fermement :

- Je n’enverrai jamais Jésus à l’école.Œ

Alphé est tout surpris. Dans le silence qui s’installe, il regarde Joseph qui se tait, sourire aux lèvres, en regardant sa jeune épouse.

Alphé insiste :

- Mais pourquoi ? L’enfant doit étudier et subir avec succès l’examen de sa majorité. Le moment approche.

- Jésus sera instruit. Mais il n’ira pas à l’école. C’est décidé.

Etrange mélange de douceur dans l’expression et de force dans la conviction de Marie.

- Tu seras bien la seule à agir ainsi en Israël !

- Oui.  Je  serai  la  seule.  Mais c’est ainsi que je ferai.  N’est-ce pas Joseph ?

- Ce sera ainsi. Marie a été élevée au temple. Elle en sait beaucoup plus que quiconque à Nazareth, et Jésus n’aura pas besoin d’aller à l’école. Marie est déjà sa maîtresse. C’est également ma volonté.

- Vous allez gâter ce garçon, objecte Alphé.

Joseph poursuit la défense :

- Tu ne peux pas dire ça. Il n’y a pas  meilleur enfant que Jésus à Nazareth. L’aurais-tu vu pleurnichard, capricieux, grincheux, désobéissant ou irrespectueux devant qui que ce soit ?

- Certes non, convient Alphé, mais si vous continuez à le gâter, ça se produira.

- Mais ça n’est pas gâter ses enfants que de les garder près de soi. C’est simplement les aimer avec cœur et intelligence. C’est ainsi que nous aimons notre Jésus. Puisque Marie est plus instruite que le maître d’école, c’est elle qui instruira Jésus.

- ...  Et quand il sera adulte, ton Jésus sera une femmelette qui aura peur d’une mouche.

- Certainement pas. Marie est une femme forte. Elle saura lui donner une éducation virile. Je ne suis pas un faiblard, et je lui donne le bon exemple. Jésus est une créature sans défaut, ni physique ni moral. Il grandira donc droit et fort en son corps et en son esprit. Sois tranquille, Alphé, la famille ne sera pas déshonorée. D’ailleurs c’est décidé et ça suffit.

- Marie a décidé. Et toi ...

- Et alors ? N’est-il pas beau que deux époux qui s’aiment soient disposés aux mêmes pensées, aux mêmes vouloirs, et que mutuellement chacun embrasse les vues de l’autre pour les faire siennes. Si Marie voulait des choses déraisonnables, je m’y opposerais. Mais ses demandes sont toutes pleines de sagesse. Aussi je les approuve et j’y adhère pleinement. C’est que nous nous aimons... comme au premier jour. Et ce sera ainsi tant que nous vivrons. N’est-ce pas Marie ?

- Oui Joseph. Et si l’un devait mourir sans l’autre, nous nous aimerions encore.

Cette belle profession de foi mutuelle est accompagnée d’une caresse de Joseph sur la tête de son épouse et d’un regard calme et tendre en retour.

L’intervention de Marie d’Alphé consomme  la  déroute de son époux :

- Vous avez bien raison. A l’école nos fils apprennent le bien et le mal. A la maison, le bien seulement. Ah, si je savais enseigner ! Mais je ne sais pas... Si Marie le voulait bien...?

Marie a deviné, mais questionne :

- Quelle est ton idée ? Ne te gêne pas. Tu sais combien je t’aime. Ma joie est de te faire plaisir.

- Eh bien voilà : Jude et Jacques sont un peu plus âgés que Jésus. Certes ils vont à l’école, mais pour ce qu’ils y apprennent ! Au contraire, Jésus qui n’y va pas est déjà très instruit et connaît toute la loi. Peut-être pourrais-tu avoir trois élèves au lieu d’un seul. Ils sont cousins et s’aiment comme des frères. J’en serais si heureuse !

- Si Joseph et Alphé sont d’accord, ça ne pose aucune difficulté. Parler pour un ou pour trois, c’est pareil. Revoir toute l’Ecriture est de la joie. Qu’ils viennent !

Les trois gamins qui suivaient la discussion mine de rien, attendent la décision avec intérêt.

- Cousine, ils vont te désespérer, affirme Alphé.

- Mais non. Avec moi, ce sont toujours de bons garçons. Ils seront gentils si je leur fais la classe, n’est-ce pas ?

En réponse les deux cousins se précipitent à son cou, un de chaque côté, et lui font les plus belles promesses.

- Laisse-moi essayer, Alphé. Mets-les à l’épreuve et tu ne seras pas déçu. Qu’ils viennent chaque soir à la sixième heure. Ce sera suffisant. Les enfants, il faut les captiver, les distraire, les comprendre, les aimer et en être aimé. Alors, on obtient tout d’eux. Et vous m’aimez vous deux, n’est-ce pas ?

Deux gros baisers lui répondent. Alphé capitule :

- Je vois. Il me reste à te remercier d’avance. Mais qu’en dit Jésus ?

- La Sagesse affirme : « Bienheureux ceux qui se tiennent près d’elle, l’écoutent et établissent sa demeure près de la sienne ». De même pour maman. Bienheureux l’ami de ma mère. Je suis heureux que ceux que j’aime soient ses amis.

Alphé et son épouse sont à la limite supérieure de la surprise. Ils contemplent Jésus, pressentant vaguement le mystère de Sa personne :

- Mais qui met pareilles paroles dans la bouche de cet enfant ?

- Personne frère. Personne au monde, répond Joseph.

Marie se tait. Elle sourit et regarde son fils.

 

 

Œ Que de théories alambiquées et le plus souvent tendancieuses sur l’origine de l’immense savoir et de la prodigieuse sagesse de Jésus, du moins pour ceux qui ne se sont pas laissé envahir par l’Esprit Saint ! A entendre certains, Jésus aurait été élevé en monastère par les Esséniens au bord de la mer Morte. Dito Jean-Baptiste. Pour d’autres, il est inévitable qu’il ait acquis ses « pouvoirs » et son immense sagesse dans les « monastères secrets » du haut Tibet... J’en passe et de meilleures.

Non : Marie, la « pleine de grâce », mais aussi la pleine de toute la science humaine possible à cette époque car les grands docteurs d’Israël qui enseignaient au temple n’étaient pas des demeurés, Marie fut la seule enseignante de son fils, lui aussi débordant de l’Esprit Saint. Il n’était pas de meilleure combinaison « enseignante / élève » possible que celle-là.

Observons aussi que Jacques et Jude, qui figurent quand même parmi les littérateurs les plus lus de toute l’histoire, furent aussi des élèves de cette maîtresse-là.

Il faut situer la décision de Marie et Joseph dans les traditions éducatives de l’époque pour comprendre la réprobation de leur environnement, réprobation qui est à la racine de cette hostilité de Nazareth dont Jésus... et Marie auront tant à souffrir dans une trentaine d’années.

La tradition rabbinique imposait à l’enfant juif d’entreprendre l’étude de la loi (la Thora) dés l’âge de cinq ans. Les élèves brillants, et Jésus était évidemment de ceux-là, apprenaient par cœur les cinq premiers livres de la Bible où se développe tout l’enseignement législatif de Moïse. Vers dix ans commençait l’étude de la tradition  orale avec la Mischna. C’était vers quinze ans que débutaient les études doctrinales (le Talmud) et ce n’était généralement que vers dix-huit ans que, formation achevée, le jeune juif était introduit dans « la chambre nuptiale » (la Chuppa). Tous ne suivaient pas le parcours complet, faute de compétence, de moyens ou de maître. Et ce n’était qu’ensuite, dans l’ombre des grands docteurs, que s’achevait la formation reçue par les grands rabbis. Gamaliel dont nous parlerons plus loin suivit ce cursus dans l’ombre de Hillel. Dans le groupe d’élèves de Gamaliel, recevant l’enseignement du grand maître, figurera un certain Paul, fils d’un pharisien de Tarse. On trouvera également dans ce groupe un jeune fougueux appelé Etienne... A ce niveau, c’était au temple de Jérusalem, uniquement, que l’enseignement était donné. Ce fut le parcours intellectuel de Marie, pensionnaire du temple dés son plus jeune âge.