Dans le jardin de la maison de Nazareth, Jésus joue avec deux garçons
de son âge. L’un d’eux est franchement brun, une tête d’agneau noir qui tranche
avec la peau claire d’un visage bien éveillé animé par des yeux bleu azur
pétillants d’intelligence et d’énergie. C’est le cousin Jude. L’autre, moins
frisé, a la belle couleur des châtaignes pour sa chevelure et des noisettes
pour les yeux. C’est le cousin Jacques. Tous deux sont les fils d’Alphé, notre dévoreur des fouaces préparées par maman Anne
au début de notre récit. Auprès d’eux, la tête blonde de Jésus fait comme un
nimbe de lumière quand elle joue avec le soleil en contre-jour.
Jude et Jacques sont des marchands. Leur imaginaire a transformé en
riches étals une exposition de feuilles, de branchages, de cailloux divers, de
pommes de pin. Gravement, Jésus joue le rôle de l’acheteur, discute les prix,
et apporte parfois ses achats à Marie qui les surveille sans interrompre son
ouvrage. Elle reçoit tous ces « cadeaux » avec gratitude.
Mais voici que le cousin Jacques propose :
- Faisons l’Exode ... Jésus sera Moïse, moi Aaron et toi Myriam.
- Mais je suis un garçon, proteste Jude ainsi préposé au rôle d’épouse
de Moïse !
- Bah ! Peu importe, fais-le quand même. Tu es Myriam, et tu danses
devant le Veau d’or. Ce sera cette ruche ...
- Non. Je ne danse pas. Je suis un homme et je ne veux pas être une
femme. Je suis fidèle et je ne veux pas danser devant une idole.
Jésus intervient :
- Jouons un autre passage. Quand Josué est élu successeur de Moïse.
Ainsi, plus question d’idolâtrie. Jude sera un homme et mon successeur. Jacques
jouera Aaron. Ca te va Jude ?
- Oui. Mais tu dois mourir, car c’est le moment de la mort de Moïse. Je
ne veux pas que tu meures. Tu m’aimes tant !
- Nous devons tous mourir ... Mais avant, je bénirai Israël. Vous jouerez
tout le peuple.
On accepte. Mais à propos des décors, la question se pose de la survie
des chars d’Israël après la longue traversée du désert. Personne ne connaît
- Maman... Maman, je dis que le peuple avait encore ses chars. Jacques
dit qu’ils avaient été abandonnés dans le désert. Jude ne sait pas qui a
raison. Si tu le sais, dis-nous !
- Oui mon fils. Israël avait conservé ses chars. A chaque halte, les
menuisiers faisaient les réparations. Les chars transportaient les plus
faibles, avec les provisions et tout le nécessaire à un peuple aussi nombreux.
Seule l’Arche d’Alliance était portée par des hommes. Tout le reste était sur
des chars.
La question ainsi tranchée, les enfants disparaissent vers le fond du
jardin. Ils en reviennent bientôt en une procession qui veut évoquer la longue
marche. Jésus est en tête et chante des psaumes d’une belle voix argentine.
Jude et Jacques le suivent en portant un simulacre de brancard qui signifie
l’Arche. Mais outre les personnages de Aaron et Josué, les deux cousins doivent
évoquer tout le peuple ... Ils se sont attaché des sortes de guirlandes
d’objets divers aux pieds et traînent tout ce fourbi derrière eux. La marche
n’est pas facile, mais l’évocation est assez réussie.
- Maman : Salue l’Arche qui passe !
Avec un sourire, Marie interrompt son ouvrage, se lève, et gravement
s’incline vers Jésus qui passe, auréolé par le soleil en contre-jour.
La procession escalade l’escarpement qui abrite la grotte où sort la
source familiale et où nichent les tourterelles si chères à
Arrivé au sommet, Jésus harangue la foule ... Les deux cousins se
prosternent. Moïse proclame Josué chef.
Jude se lève et Jésus le bénit. Puis Moïse se fait apporter une tablette ...
Jacques présente une feuille de figuier. Moïse écrit le cantique qu’il récite
parfaitement (Dt
33). Il monte ensuite au sommet de la butte,
bénit la « foule » une dernière fois, s’allonge au sol ... Et meurt
dans les lamentations de ses cousins.
Marie qui souriait, émue par tout le symbolisme prophétique de la
scène, cesse alors de sourire et pâlit :
- Jésus... Jésus, lève-toi ! Ne reste pas ainsi ! Ta maman ne veut pas
te voir mort !
Immédiatement, Jésus obéit et bondit jusqu’à sa mère qui le soulève de
terre, le serre
dans ses bras et l’embrasse. Les larmes toutes proches, Marie entend en son
cœur les prophéties d’Isaïe ... Les cousins arrivent quelques secondes après et
serrent les jambes de
Puissante prophétie enfantine.
Dans trois décennies, la foi inébranlable de Marie ne sera pas débordée
par l’océan de souffrance qu’elle aura traversé. A sa prière ardente, Jésus se lèvera
de la mort et bondira dans les bras de sa mère, à l’exacte seconde respectueuse
des trois jours prophétisés par Jonas, mais abrégeant ainsi de trente-neuf
heures le martyre de sa maman. Et ce sera dans l’affection maternelle, la force
et la foi de Marie que les disciples de l’Eglise naissante viendront se
réfugier après le martyre de leur Maître.