ZACHARIE A BETHLEEM

 

 

Quelques jours plus tard, dans la maison  de la patronne du berger où  Marie, Joseph et l’enfant Jésus ont été accueillis, la propriétaire conduit Zacharie vers ses hôtes. Elle frappe et se retire discrètement. C’est Joseph qui ouvre et exprime sa joie à la vue du visiteur :

- Entre et assieds-toi, Marie allaite le bébé. Elle va nous rejoindre. Donne-nous des nouvelles du petit Jean et de sa maman.

- Jean pousse comme un poulain vigoureux. Il fait des dents et souffre un peu. Par ce froid, il nous a paru imprudent de faire le voyage, voilà pourquoi je suis venu seul.

- En effet cet hiver est très rigoureux.

- Votre berger messager m’a décrit vos conditions de logement lors de la naissance ... Vous avez dû beaucoup souffrir !

- Oui, vraiment. Mais nous avons eu plus de peur que de mal. Ce fut pénible surtout pour le bébé. Il a fallu plusieurs jours pour trouver ce logement. Les braves bergers nous ont aidés et ont convaincu beaucoup de gens de Bethléem. Nous ne manquions de rien, sauf du confort le plus élémentaire en pareille circonstance. Le petit pleurait beaucoup à cause du froid glacial, de la fumée du feu  cependant bien inefficace, de l’absence de linge de rechange. Pas de toilette possible non plus. L’enfant a beaucoup souffert, Marie aussi, surtout de le voir souffrir sans rien pouvoir y faire. Et moi, j’enrageais en songeant que tout était parfaitement préparé dans notre maison à Nazareth.

- Le Christ devait naître à Bethléem, Joseph. Les prophètes l’avaient annoncé...

Marie entre à cet instant.

Elle tient Jésus endormi dans ses bras.

Zacharie  se  lève  et  s’incline profondément, très  lentement, avec vénération, devant l’enfant et sa mère. Puis il s’approche avec lenteur, se penche et scrute le visage de bébé Jésus ... Tout cela avec les marques d’un profond respect. Il est prêtre. Il sait « QUI » est là, et plus que les bergers, probablement, il perçoit l’immensité du mystère de cette incarnation de Dieu. Il s’y heurte, inévitablement, malgré sa sainteté.

Marie, avec beaucoup de simplicité, lui offre le poupon. Zacharie s’en saisit comme d’un ostensoir de nos époques, porte l’enfant à bout de bras en un geste d’offrande vers le ciel et le rend à sa mère.

- Elisabeth n’a pas pu venir. Le froid est trop rigoureux. Elle m’a confié de nombreux cadeaux pour ton enfant béni. Tout cela est dans le char. Mais nous viendrons vous voir dès que les beaux jours seront revenus.

- Nazareth est bien loin d’Hébron, observe Joseph.

- Mais ...  le Messie doit grandir à Bethléem affirme le prêtre !

Marie regarde Joseph ... Qui regarde Marie. Un échange muet de questions passe au dessus de la tête de l’enfant Dieu ... Et c’est Marie qui commence, très respectueusement une résistance, évidemment très solidement  argumentée.Œ

- Comment pourrions-nous faire ? Nous avons tout laissé à Nazareth et Joseph n’avait ménagé ni sa peine, ni son argent, dans la préparation de tout le nécessaire pour Jésus. Il a travaillé jour et nuit pour acquérir les bois les plus beaux, les linges les plus fins. Il a construit des ruches. Il a fait de la maçonnerie pour que l’enfant dispose de place...

- Joseph s’occupera d’un déménagement ...

- Mais notre maison, et la bonne clientèle de Joseph sont nos seuls biens. Nous sommes pauvres, Zacharie. Il faudra trouver une location, car la femme très bonne qui nous héberge ne pourra pas nous donner l’hospitalité très longtemps. Je ne veux pas imposer à Joseph des sacrifices au-delà de ceux déjà consentis.

- Pour moi, ça n’est rien, affirme courageusement Joseph. Mais il faut comprendre la peine de Marie ... Ne plus vivre dans sa maison ! Je suis jeune et solide, je ferai double travail s’il le faut. Si Marie ne souffre pas  trop  et si tu affirmes que c’est bon pour Jésus, je ferai ce qui te paraît juste.

Joseph, par respect pour l’opinion du prêtre, mais aussi par une inconscience de la grandeur de son épouse pleine de l’Esprit, capitule trop tôt.

- Il est cependant écrit que Jésus serait appelé  « le Nazaréen », objecte très judicieusement et très respectueusement Marie.

Cette objection s’adresse aux deux hommes.

Mais Zacharie s’obstine, et dévoile le fond de cette obstination :

- C’est exact ... Mais au moins, tant qu’il ne sera pas adulte, faites-le grandir en Judée puisque le prophète Miché a dit : « ... Et toi Bethléem Ephata, tu seras la plus grande, car de toi sortira le Sauveur. » Je pourrai ainsi m’occuper de son instruction. Qu’un prêtre ait été son maître ne pourra que faciliter sa tâche. Pensez-y !

Marie se recueille un instant :

- Tu es prêtre, Zacharie, nous suivrons tes raisons. Mais quelle peine ...

Et elle pleure, doucement, mais aussi prophétiquement. Comment ne pas voir en effet, que cette  stupide obstination orgueilleuse de Zacharie ne sera pas étrangère à l’horrible massacre des enfants de Bethléem.

Joseph est sombre. Zacharie, perdu dans sa vision tellement humaine de la situation, n’en perçoit même pas les contradictions. Comment le Maître de l’univers, Verbe de Dieu et Seigneur incarné, aurait-il besoin d’un autre maître  que  celui  dont  il  dispose  en  sa  Très  Sainte  Mère, providentiellement préparée à ce rôle par une prodigieuse érudition acquise en de nombreuses années d’étude, au temple, avec les plus savants qui soient, et baignant en outre et surtout dans l’Esprit Saint, dispensateur unique de la science divine ?

Marie sait tout cela, mais humblement elle se tait. Elle obéit.

 

 

Œ Cette résistance de Marie donne à penser. Elle est la « pleine de grâce » et nous savons qu’il faut comprendre « la pleine de l’Esprit Saint ». Sa contestation des idées toutes faites de Zacharie est donc celle de Dieu. Que se serait-il passé si la Sainte Famille était rentrée à Nazareth au lieu de rester à Bethléem pour obéir humblement au prêtre du temple ? Il est évident que Dieu ne voulait pas du massacre des saints innocents...

Joseph est indiscutablement un des plus grands saints que nous retrouverons dans l’éternelle et bienheureuse communion. Il est réconfortant pour nous de le voir ici en flagrant délit de commune misère. Le saint pèche huit fois par jour disait St Bernard (ou peut-être Augustin... )