LES BERGERS

 

En cette première nuit de Noël, la lune est pleine et on y voit comme en plein jour.

Dans la campagne proche de Bethléem une bergerie cernée par le gel abrite un troupeau et ses nombreux gardiens. Tous se tiennent au chaud, et peu importe la forte odeur des boucs !

Un pastoureau d’une douzaine d’années sort de l’abri et contemple la voûte céleste, impressionné par le calme et la luminosité exceptionnelle. Il se dégourdit un peu les jambes. Soudain, fixant le sommet d’un grand arbre, il s’arrête, comme pétrifié, puis fonce vers la bergerie en criant :  « Un ange... Il y a un ange... » Il en ressort avec tous ses compagnons, adultes, qui ronchonnent fort de devoir sortir par ce froid. Tous sont armés de bâtons ou de matraques au cas où ... Les bandes de brigands volaient souvent des moutons pour assurer leur subsistance, et dans ce cas, vis-à-vis des propriétaires, les bergers étaient responsables sur leurs maigres deniers, sans compter la bastonnade !

Un des aînés bougonne : « ... le voilà qui voit des anges maintenant... Je vais renvoyer ce sot à ses parents. Il risque de faire des bêtises et de nous perdre des moutons ... »

- Là... Là-haut … à la pointe de l’arbre … regardez … un ange … plusieurs...  A genoux,  c’est l’ange de Dieu ! Et  le gosse émerveillé, s’agenouille. Troublés, les adultes se font attentifs. Les uns après les autres, pas simultanément, à mesure que l’Esprit leur ouvre les yeux du cœur, les voici frappés de stupeur. On entend des  « Ah...! Oh...!» Les bâtons tombent à terre ... On s’agenouille ... Certains restent debout, ébahis.

Car l’ange est bien là, et pas seul, mais accompagné d’une cohorte d’autres êtres de lumière, tous dans l’allégresse la plus vive, baignant dans un halo de clarté dont l’intensité et le volume s’accroissent.

 (Luc 2 10-14)

... Et l’ange leur dit : «  Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie, qui sera pour tout le peuple : il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un sauveur qui est  Christ Seigneur. Et voici pour vous le signe : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et soudain, il y eut avec l’ange, une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait : «  Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur terre aux hommes de bonne volonté ! »

L’instant suivant, les bergers se retrouvent seuls.

- Je sais où c’est ! C’est certainement cette jeune femme, si belle et si émouvante dont je vous ai parlé.

On reconnaît le berger croisé par Joseph et Marie quelques heures plus tôt.

- Prenez des vêtements, des couvertures, le bébé doit souffrir par ce froid.

- Prenons des vivres aussi ...

- Vite, pressons.

- Et le troupeau ?

- Il ne va pas s’envoler ! Fermez bien les barrières. Dieu veillera puisqu’il nous envoie vers son Messie.

La petite troupe a tôt fait de se mettre en route et d’arriver dans la zone des  grottes  refuges.   Dès  les  premiers  abris,  ils  s’informent auprès des veilleurs :

- Plus loin ... Au fond ... Oui, on les a vus arriver !

Finalement, tout émus, ils se massent devant la toile d’entrée tendue par Joseph. Ils n’osent pas ! Le plus vieux, qui parlait tout à l’heure de renvoyer le pastoureau chez lui, trouve maintenant des vertus au gamin :

- Toi, regarde ... Et dis-nous ce que tu vois...

Les autres acquiescent en chuchotant :

- Oui, toi  tu  as vu l’ange ... Tu peux !

Le gosse passe la tête derrière la toile.

- Que vois-tu ?

- ... Je vois un homme ... et une femme ... Elle prend un bébé dans une mangeoire ... Ils essayent de le réchauffer.

Un énorme soupir de pitié, très proche d’un gémissement collectif, rompt la discrétion du groupe. Joseph se retourne, aperçoit la tête du gosse et vient demander au groupe la raison de leur présence.

- Le  petit  a vu un ange. Nous aussi, mais après lui. Evidemment...

Il y a comme du regret dans le « évidemment » !

- ... L’ange a dit que le Sauveur, le Christ Seigneur était né ... Dans une crèche ... Tout de suite, on a pensé que ça ne pouvait être que ta femme. Alors on est venus. Il fait trop froid pour un bébé ... Mais aussi ... Le voir ! On a apporté des beaux lainages, du lait, des fromages ... de nos brebis.

Humbles, mais confiants et généreux dans leur pauvreté, ils ont osé, par débordement du cœur, demander à « LE VOIR » ! Oh certes, ils ne sont que des bergers, les parias de l’époque, juste une peu plus que les lépreux, mais ils ont, eux aussi, une très haute conscience de « QUI » est là en cet enfant !

Un bon sourire éclaire le visage de Joseph :

- Entrez ...

Ils s’avancent, mais vraiment sans se bousculer ! La crainte révérencielle de Dieu dont ils sont littéralement pétris, paralyse presque leurs gestes. Spontanément, ils poussent le pastoureau devant.

- Venez, confirme Marie en se tournant vers eux pour les accueillir. Ce faisant, elle expose Jésus qu’elle porte dans ses bras.

L’enfant ose ... Les porteurs de lanternes s’approchent plus ... Les autres s’immobilisent progressivement dans des postures diverses  mais toutes d’adoration. Une expression de bonheur intense inonde tous ces visages ... Quelques instants d’amour quasi palpable, une sorte de pré transfiguration que Dieu accorde prophétiquement à ce groupe de tous les plus pauvres de tous les temps !

- Prends cette couverture, mère. Elle est toute douce. Je l’avais préparée pour le bébé qui doit bientôt naître chez moi.

Marie enveloppe immédiatement Jésus dans cette peau laineuse et toute blanche.

- Voilà du lait ... Prends femme !

- Il est froid ce lait, objecte le plus âgé, Elie, arrive  ici  avec ta brebis, qu’elle donne du lait chaud.

Ils traient la brebis et trempent l’angle d’un linge dans le lait crémeux. Marie en baigne les lèvres du bébé qui apprécie, suce longuement, et finalement, après de nombreux ravitaillements s’endort.

- Vous ne pouvez pas rester ici. Le froid et cette puanteur, ça n’est pas convenable pour le Sauveur.

- Je le sais, confirme Marie avec un soupir, mais il n’y a pas de place pour nous à Bethléem Œ

- Courage, femme. Nous allons te chercher une maison. Dès l’aube j’en parle à ma patronne. Elle est bonne. Elle vous cédera une pièce chez elle.
- Au moins pour le petit, précise Marie, pour Joseph et pour moi, peu importe. Mais pour le petit ...

- Ne t’inquiète plus, femme. Nous raconterons à tous ce que l’ange nous a dit. Vous ne manquerez de rien. Pour le moment, prenez ce que nous vous offrons ... C’est peu, mais nous sommes pauvres.

- Nous aussi, déclare Joseph, et nous ne pourrons pas vous dédommager.

- Ah, mais surtout pas ! Même si vous le pouviez, nous ne l’accepterions pas. Le  Seigneur  nous a déjà largement dédommagés.  Les anges chantaient  « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté...» Et sa paix, il nous l’a  donnée, car l’ange a dit que ce bébé, c’est le Christ, le Sauveur, le Seigneur Tout-Puissant. Nous savons que les prophètes l’appellent  le prince de la paix et réellement, il nous a donné Sa Paix ! Gloire  à  Dieu et Gloire à celui qui est Son Christ ! Et toi, femme, sois bénie ! Tu es sainte puisque tu as conçu cet enfant. Commande ... Comme une reine. Nous serons heureux de te servir. Que pouvons-nous faire pour toi ?

- Aimer mon fils, et avoir toujours dans le cœur vos pensées de maintenant.

- Mais, tu dois bien avoir des parents à prévenir !

- Oui, à Hébron.

- J’irai, dit Elie, l’homme  à  la  brebis et au lait chaud . Qui sont tes parents ?

- Le prêtre Zacharie et Elisabeth ma cousine.

- Je les connais. Leur berger est un ami. Dès que vous serez dans une maison, j’irai chez Zacharie. Quel honneur pour moi  pauvre berger, d’aller dire au prêtre :« Le Sauveur est né...»

Avec une prudence très lucide, Marie corrige :

- Non Elie, tu lui diras seulement : « Ta cousine, Marie de Nazareth te fait dire que Jésus est  né. Elle te demande de venir à Bethléem. »

- J’obéirai, femme. Elie s’incline respectueusement.

- Merci Elie. Dieu t’en récompense. Je me souviendrai de toi et de vous tous. Dites vos noms à Jésus...

- Je suis Elie.

- Moi Lévi... Moi Samuel... Jonas... Isaac... Moi Tobie... Et moi Jonathas... Moi Daniel... Siméon... Jean...

- Je m’appelle Joseph, et voici Benjamin mon frère jumeau.

- Je me rappellerai vos noms, affirme Marie.

- Laisse-nous ... embrasser son habit, ose demander Lévi avec un sourire extasié...

Marie présente doucement Jésus. En pleurant de joie, chacun dépose un baiser sur les linges qui emmaillotent le bébé ... Oh, très respectueusement, à la hauteur des pieds. Tous s’essuient soigneusement le visage avant ce geste d’amourŽ. En pleurant de bonheur, ils sortent lentement, à reculons... Ils laissent leurs coeurs dans la crèche.

Saints et braves bergers.

Premiers adorateurs, premiers disciples, premiers évangélisateurs, premiers persécutés aussi à cause de Jésus  mais cela ils ne le savent pas. Leurs vies vont se trouver chamboulées, héroïquement, douloureusement. Mais des rares survivants de ce groupe, aucun ne manquera au pied de la croix, alors que parmi les douze princes de l’Eglise  naissante  un aura trahi, dix auront déguerpi et un seul réconfortera Jésus et Marie de sa présence.

 

 

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Œ Bethléem signifie : « La maison du pain ». Si on rapproche cette signification évidemment prophétique de l’Eucharistie, le douloureux constat de Marie devient poignant devant l’histoire. Ce refus d’accueillir Jésus reste très actuel.

Remarquable invariance dans les instructions de la Sainte Mère. Toutes les nombreuses communications mariales peuvent se résumer en cette formulation !

Ž Songeons ici à la désinvolture qui est trop souvent la notre dans nos attitudes de communiants. Les bergers nous font la leçon...