CHAPITRE 13.

 

 

 

 

Les portes allaient et venaient, comme pour entrer dans une salle de cinéma de banlieue populaire. Les gens endi-manchés... ce devait être là. On lui avait dit : dans le bas de Saint-Cloud à l'angle de la rue du 18 Juin et de la rue des Milons. Une église dans une ancienne blanchisserie, Saint-Joseph-artisan.

 

La salle pouvait avoir 15 à 20 mètres de côté. Le plafond de ciment armé, porté par des piliers de béton, était bas. Derrière l'autel, le mur était habillé de bois, avec une croix en marqueterie au-dessus de trois chaises en matière plastique pour les célébrants. L'autel était aussi en marqueterie, comme la croix, dans un ton paille et or qui retenait le regard.

 

Presque toutes les chaises étaient déjà occupées 300 personnes peut-être. Beaucoup de jeunes... Tout le monde parlait en attendant que la messe commence : le brouhaha indistinct et varié comme la voix innombrable de la mer sur les galets. A gauche de l'autel, une chorale de jeunes. On accordait les guitares, et les accords commençaient à se mêler à l'assemblée : bientôt le brouhaha devint un gazouillis léger, comme le frou-frou d'un feu de bois. C'était plein. Il y avait de tous côtés des hommes et des femmes debout. Un violoncelle essayait sa gravité. Le silence bientôt, le concert pour Dieu. La batterie attendait, rutilante, une cymbale légèrement penchée, comme un béret sur l'oreille. Derrière, un jeune homme, le petit fouet à la main, prêt à saisir la foule de son rythme. Devant l'autel, un gros bouquet d'oeillets rouges et blancs semblait un feu immobile. Un buisson ardent pour dimanche ordinaire... Il y avait trois guitares, un violon, le violoncelle, une clarinette, et la batterie.

 

Le prêtre s'avança : un petit homme à barbiche blanche. Sur la chasuble crème, comme sur le linge qui recouvrait le pupitre du livre des lectures, il y avait un épi jaune, en correspondance claire avec le bois de l'autel et de la croix.

Le premier guitariste regarde vers l'assemblée - à sa droite, la chorale. D'un accord, il a créé le silence :

Seigneur, tu nous appelles et nous allons vers toi.

Ta bonne nouvelle nous met le cœur en joie...

Dans le rythme doux des guitares, le chant s'étend progressivement à toute la foule. Le Pape n'en revient pas son regard parcourt les rangs, la lumière du sourire est proche sur tous les visages. De-ci, de-là, des petites filles avec une couronne de fleurettes blanches dans les cheveux. Les jeunes se balancent enchantant : l’approbation det out leur corps.  

 

 

Quant au premier guitariste, il a le visage rejeté en arrière : pourquoi les yeux regardent-ils en haut, cependant que ses doigts répètent leur caresse rude sur les cordes ?

Seigneur, prends pitié...

Le joueur de clarinette y met toute sa bouche avec beaucoup d'application. Et entre « Seigneur » et a prends pitié », on entend un instant la plainte fervente du petit violon, dont l'archet bouge à peine, cependant que la main gauche semble trembler au bout de la hanche. Le violoniste porte des cheveux longs, et des lunettes rondes, fil de fer.

Un petit garçon grassouillet - deux ans peut-être - se promène et vient considérer de près le prêtre et l'autel, avec sa petite culotte bleue. Puis il s'arrête devant les guitaristes et les regarde avec un sérieux très concentré. Brusquement, il repart vers sa mère en courant. Le bruit léger d'un enfant qui galope.

 

Le prêtre prie au nom de tous :

Seigneur, apprends-nous à vivre en ta présence et à aimer nos frères...

Que ces mots sont immenses !

 

Maintenant, c'est le sermon. La barbiche blanche...

- L'univers cherche l'unité... le seul mal, c'est la solitude, l'indifférence, la haine, l'égoïsme... Nous sommes comme les disciples d'Emmaüs : c'est le signe du pain partagé qui nous annonce le Christ et la naissance d'un monde nouveau... Nos enfants changeront peut-être la vie. Nous disons à ces enfants : merci de venir mettre un peu plus de paix, d'amour, de justice, sur la terre. »

 

Un autre petit se promène au moment de la consécration. Quand les gens baissent la tête, il les regarde avec étonnement en se grattant le menton. Puis il va regarder près de l'autel, nez en l'air, pour voir d'où vient la lumière. Le chant du Pater, et à la fin, de nouveau :

… Notre Père, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. .

 Quelle prière à jamais contestataire !

 

A la communion — beaucoup d'hommes communient ! - le prêtre tend l'hostie au Pape avec des yeux rayonnants. Il l'a regardé pour lui-même... comme s'il l'avait reconnu. Les filles se déhanchent légèrement en chantant, elles sont prêtes à danser :

… Le Seigneur nous a aimés comme on n'a jamais aimé...

Toute la foule sereine fredonne

… Je cherche le visage, le visage du Seigneur.

Je cherche son image tout au fond de vos cœurs.

Et la chorale chante une question abyssale

Vous êtes le Corps du Christ.

Vous êtes le Sang du Christ.

Vous êtes l'amour du Christ.

Alors, qu'avez-vous fait de Lui ?

 

A la fin de la messe, un homme vient parler. Il propose à tous de prendre des responsabilités dans l'équipe de presse, l'animation des messes, le catéchisme, le Club de l'âge d'or qui s'occupe des personnes âgées, l'aide à l'alphabétisation, la chorale... « Pour que notre communauté, dit-il, soit de plus en plus chaleureuse et rayonnante. »

 

On sort. Le Monsieur qui était à sa droite — soixante-dix ans environ — lui dit :

- Que c'était beau ! Cette procession de communion avec le chant à rythme syncopé me faisait penser à la procession des Panathénées sur la frise du Parthénon. Et regardez tous ces jeunes prêts à danser...

Un peu plus loin, il entend un homme jeune encore qui dit à sa femme :

- Ici, tout est pur. Ça me réconcilie avec la religion.

Mais dehors, près de la porte, une femme murmure à mi-voix à une autre femme :

- Cette église, c'est un scandale. C'est comme ce cardinal qui va dans les bistrots avec son béret basque, et qui trouve qu'on a trop puni les jeunes qui mettaient le désordre à la basilique de Montmartre.

- Mais si on est chrétien ?... risque l'autre timidement.

- Alors il n'y a plus de société possible. »

 

Dehors, un petit marché comme dans le village autrefois. Le Pape a été acheter une rose. Le marchand tire la langue en l'enveloppant de son mieux dans le papier transparent.

- Et vous lui fendez la queue en la mettant dans l'eau...  

Un bon sourire de l'homme en blouse bleue... et la rose. Et les visages et le chant tout à l'heure dans l'ancienne blanchisserie.