CHAPITRE 11.

 

 

 

 

Les gens souriaient. Il y avait bien 200 chevaux. On avait envie de suivre dans l'odeur du crottin frais. La Garde républicaine allait attendre la Reine d'Angleterre. Superbes, ces hommes avec leurs casques rutilants. L'officier faisait tournoyer son sabre :

- Rangez-vous à droite...

Il portait un grand monocle, à l'oeil gauche. Les cavaliers levaient les yeux vers les fenêtres : ils regardaient les filles. Les beaux chevaux à la tête fine... A l'avant, la musique jouait, comme un bouquet sonore de toutes les couleurs de l'équipage. Le Pape regarda les visages sur les trottoirs : pourquoi cette satisfaction, ces sourires ? Lui aussi avait envie de suivre, comme les enfants. Et de continuer à regarder les damiers sur les croupes des chevaux.

 

Les gardes suisses étaient beaux aussi. Mais on en avait licencié beaucoup. On a besoin partout de couleur, de fantaisie, d'enfance. Les péchés en couleurs de Patricia Et puis la Reine d'Angleterre allait passer. Un peu plus, il serait resté pour la voir. Mais il en avait vu tant d'autres au Vatican...

 

Il remonta dans le taxi. Sa voiture était en première position à la station. Une dame arriva.

- Vous êtes libre, Monsieur ?

- Oui, Madame.

- Vous pouvez m'emmener au Sacré-Coeur, à Mont-martre ?

Elle avait le visage fin, fervent. Il traversa le pont Alexandre III.

- Vous savez, Monsieur, j'aime beaucoup le Sacré-Coeur. La basilique, et puis aussi le Sacré-Cceur.., alors j'y vais chaque premier vendredi du mois, et puis je me confesse avant la messe...

Elle eut un sourire gourmand de petite fille. Elle devait avoir soixante-quinze ans environ.

- Il y a de bien bons prêtres, là-haut... et toujours dans ces confessionnaux à écouter les péchés des gens, il doit leur en falloir de la patience... Mais je vous agace peut-être, Monsieur, avec toutes mes histoires de vieille femme...

- Oh! non, Madame, vous me faites plaisir. Puis vous me donnez une idée : je vais aussi aller me confesser. J'ai un peu de retard.

- Oh ! que c'est bien, Monsieur. Le Bon Dieu sera bien content de vous, allez, et vous aussi vous serez content.

 

Les petites rues de Montmartre. Il s'arrêta derrière la basilique.

- Combien, Monsieur ?

- 7,80, Madame.

- Faites-moi plaisir, gardez tout. En prenant le billet de 10 F, il eut l'impression qu'elle lui payait la confession. Il sourit.

 

 

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Il alla vers la gauche. Le confessionnal était dans un coin sombre. On entendait le prêtre et son pénitent

- … Vous savez, c'est quand même elle qui l'a voulu.

- Oui, mais vous êtes prêtre, il ne fallait pas vous mettre dans l'occasion prochaine du péché.

- Oui...

- Bon, alors, comme pénitence, vous direz les litanies du Sacré-Cœur.

Il avait entendu tout cela avant d'avoir eu le temps de se retirer. Heureusement qu'il n'y avait personne alentour.

- Comment ?

- Les litanies du Sacré-Coeur.

Il y eut un silence. Soudain le Pape entendit le pénitent qui disait au confesseur

- Dis donc, tu te fous pas d' ma gueule ?

- C'est ça, ou rien répliqua le confesseur.

Le pénitent sortit.

Le Pape entra dans le confessionnal. De l'autre côté de la grille, il entendait des bribes :

- Que Notre Seigneur Jésus Christ...

- Je ne me suis pas confessé depuis six mois. L'essentiel à dire devant Dieu : j'ai pris mes distances par rapport à une responsabilité importante... ou tout au moins à la manière dont je la tenais...

- Expliquez un peu.

- Oh! ce serait trop long.

- Mais alors, comment voulez-vous que je vous conseille ?

- Je ne suis pas venu demander des conseils...

- Mais quel métier vous faites ?

- Taxi...

- Taxi ? mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise si vous ne m'expliquez pas ?

- Mais rien, mon Père, je suis venu me confesser.

- Oui, mais enfin, qu'est-ce que c'est, se confesser ?

- Eh bien... recevoir le pardon de Dieu, se mettre dans sa miséricorde.

- Ah...

- Alors je voudrais dire que j'ai peut-être pris cette décision avec une certaine légèreté, comme un enfant qui joue...

 - Bon, et pour le reste ?

- Oh ! c'est tout. Ça fait bien assez ?

- C'est bien drôle, tout ça. Bon, vous direz les Litanies du Sacré-Coeur... Dominus noster...  

 

Dehors, près du taxi, il retrouva la dame.

- Vous voulez me ramener ? Je ne vais pas rester à la messe, aujourd'hui.

Elle rayonnait. Elle lui dit :

- Alors, ça a été ?

Il avait acheté les Informations catholiques internationales, au stand de presse, à l'entrée de la basilique. Le sommaire était alarmant. Le dossier s'intitulait : « Tensions et conflits au Vatican » : à travers la prudence relative de l'écriture, Hyacinthe apercevait les organismes et les hommes du Vatican... une vraie guerre civile. De tous côtés dans le monde, l'expression du désarroi, l'appel à un Pape qui reviendrait, proche, disponible, reçu de Dieu et donné à Dieu, pour tous. Il faudrait bien un jour mettre un terme à ce temps de silence.

 

Ce soir-là, il relut le chapitre 5 de l'Evangile de saint Matthieu.