CHAPITRE 1.

 

 

 

Elle se tenait en haut de l'escalier, à la bouche du métro, le transistor à la main. Elle avait délaissé la guérite de toile jaune, où la lampe à acétylène se balançait dans le vent au-dessus des deux piles du Monde et du Figaro. Les journaux n'étaient plus que du papier. La nouvelle venait de s'échapper du transistor. Et elle, avec ses pommettes rouges, son pantalon en toutes saisons, avait senti un grand froid courir en elle. Et puis les larmes lui venir aux yeux. Alors elle avait laissé les journaux. Elle était venue avec le poste en haut de l'escalier. Les portes claquaient, quand les colonnes d'hommes et de femmes devenaient moins denses.

 

Elle le répétait, tout en écoutant le transistor :

- Le Pape a disparu. On annonce que le Pape a disparu.

Beaucoup de gens s'arrêtaient.

- Disparu... mais disparu d'où ?

- Du Vatican, Monsieur, il a disparu.

- Disparu, mais qui l'a emmené, on l'a enlevé ?

- On ne sait pas, Madame, ils disent comme ça qu'il a disparu, et puis voilà. Depuis hier soir, ils disent...

 - C'est pas possible ?

- Eh Si! écoutez... »

La voix métallique et inépuisable ne cessait de sortir du poste :

- Aucune réaction internationale n'a encore été enregistrée. Les gouvernements font montre de la plus grande discrétion… Selon notre correspondant à Rome, le gouvernement italien aurait eu une séance extraordinaire ce matin à 11 heures ; à la sortie du Quirinal, aucun ministre n'a consenti à faire la moindre déclaration… Nous espérons avoir bientôt en ligne notre envoyé spécial au Vatican. Un instant... A vous Rome.

 

« Le Pape a disparu. » La marchande de journaux avait un peu baissé la puissance du poste : on l'entendait gré-siller en passant.

- Et où est-il ?

- On ne sait pas, Monsieur. Ils disent que la police cherche partout, dans les aérodromes, sur les routes...  

 

On entendait maintenant la voix égosillée du correspondant à travers un brouhaha de foule et de parasites radio :

- … L'émotion est intense sur la place Saint-Pierre… Depuis une demi-heure la foule afflue. Elle est maintenant compacte. Tous les visages sont levés vers le balcon où le Pape apparaissait le samedi et le dimanche. Beaucoup de femmes pleurent. Les yeux se tournent aussi vers la fenêtre du bureau des appartements pontificaux, où la lumière restait allumée si tard dans la nuit… Ce soir, on ne distingue plus la fenêtre sur la muraille sombre du bâtiment. Mais voici que maintenant quelques prières s'élèvent...  

 

Le Pape a disparu…

- On s'en fout, dit un jeune en passant.

- Celui-là, écoutez-les, ces jeunes. Ça n'a aucun respect. Le Pape, tu réalises… aucun respect avec leurs cheveux longs, et c'est bon à rien... Et ça veut vivre sans travailler !

 

Quelques petits groupes se faisaient et se défaisaient :

- Ce sont peut-être des extrémistes qui l'ont emmené comme otage. Après les détournements d'avions, les enlèvements de diplomates, voilà où on en arrive…  C'est pas croyable !  Le Pape, c'est quand même le Pape !  

 

Le poste nasillard continuait :

- La Sûreté italienne en liaison avec Interpol vient de déclencher la plus vaste opération jamais montée par des services de police. Les frontières italiennes sont fermées depuis 13 heures, et les départs momentanément interrompus dans les ports et les aérogares. Des barrages routiers permettent aux policiers de visiter toutes les voitures...  

 

- On l'avait pas depuis longtemps, ce Pape, et il avait l'air bien gentil, disait une petite vieille à la marchande de journaux. Ça fait pas un an qu'il y était. Et on en avait parlé, avec ce vote qui n'en finissait pas. Pour élire un jeune, ils y avaient mis le temps. Peut-être qu'un vieux, ils auraient pas osé l'enlever. Non, vous savez, le monde devient fou. Le Pape qui a disparu, c'est pas croyable !

- Dieu le protégera, Madame, disait un Monsieur qui s'était découvert. C'est le Vicaire de Jésus-Christ, et les portes de l'Enfer ne prévaudront pas... Mon arrière-grand-père, Madame, avait été zouave pontifical, nous avons la médaille, oui, une belle médaille... Il avait vu le Pape. Ce n'était pas comme aujourd'hui.

 

- … Allo, Pierre Giuliani, avez-vous pu interviewer quelque haute personnalité du Vatican ?

- Jusqu'à maintenant, aucun journaliste n'a pu approcher une personnalité du Vatican, le Bureau de presse s'est borné à diffuser le texte très court transmis par les agences : le Pape a disparu au cours de la nuit dernière. Les recherches au Vatican sont demeurées vaines. Le gouvernement italien a été prévenu à 9 h 15, ce matin, en même temps que la police italienne et Interpol. Le cardinal secrétaire d'Etat demande des prières pour que Sa Sainteté soit bientôt retrouvée saine et sauve.

- « Alors ça fait presque 24 heures qu'il a disparu, dit un jeune. Pourquoi ils ont attendu tout un jour pour le dire ?

- Ah! c'est qu'on devait le chercher partout dans le Vatican. Ça doit être grand. Ou peut-être la police a dit de rien dire d'abord...  

 

Il y avait encore des gens qui ne savaient pas.

- Non, c'est pas possible ?

- Si, même qu'on a cherché tout aujourd'hui, et rien...

- Le Pape ?...

- Oui, Monsieur, et y a pas longtemps qu'il y était.

- Et personne n'a encore rien dit, ni pour une rançon, ni pour quoi que ce soit.  

 

La petite lampe à acétylène se balançait toujours au-dessus des journaux sous la bâche jaune. Les hommes s'ar-rêtaient souvent un instant, comme pour réfléchir. L'un d'eux ne s'était pas arrêté, il était passé sans prêter attention apparemment. Un manteau gris, un homme parmi les autres : taille moyenne, l'air pressé. 

 

 

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