TELESCOPAGES
CUBAINS (1)
Il
naquit pendant la deuxième.
Les
Cubains sont un très grand peuple. Il m’a convaincu que Karl à la mode
popoff ne fut pour eux que la solution du désespoir imposée par une autre
variante de la connerie ambiante et planétaire.
Beaucoup
des versants admirables de cette terre, de son histoire et de son peuple nous
furent présentés avec un amour et une compétence que nous ne connaissons
plus chez nous. Mais les zones d’ombre qui s’étendent, malgré le silence
de notre guide, ne pouvaient pas échapper à une observation même
superficielle.
La
chasse au dollar, la cohabitation de deux mondes ainsi générée sur une
terre asphyxiée par un blocus à vrai dire indigne d’un peuple chrétien, développent
une paranoïa littéralement suicidaire. Et aussi bien sûr, les tristes dérives
avilissantes et inévitables de la misère.
« Godaillant »
dans le quartier historique de Trinidad, je contemple la façade de l’église
principale, dédiée à la Ste TRINITE comme il se doit.
La
croix qui jadis dominait la place n’existe plus. Elle a été remplacée par
l’étoile de la révolution. L’église est fermée. Comme chez nous le
plus souvent, JESUS est en cage, protégé des ardeurs d’une ferveur
populaire possiblement irrespectueuse. Les grilles sont soigneusement cadenassées
pour protéger une voiture modeste en cylindrée et gabarit, mais neuve, ce
qui est rarissime dans ce pays. Je me renseigne… Il s’agit de la voiture
de M. le Curé local.
Je
déambule lentement en admirant les façades, à l’ombre car ça cogne. Une
fois de plus, une grande affiche pour touriste annonce un salon de massage.
Les tarifs et la durée des soins proposés indiquent une probable parenté
thaïlandaise. A la porte suivante, un jeune de mon âge me fait signe
d’entrer avec une insistance amicale. Ma prudence cède quand j’aperçois
son épouse qui nettoie le carrelage de la salle. Non, ça n’est pas une
annexe du salon de massage, ou alors, faudrait être maso… !
Je
remarque des éléments religieux dans la modeste décoration locale.
J’extrais alors ma grosse croix pectorale. Elle me vaut une vigoureuse
accolade suivie de la poignée de main façon « guerilleros ». Je
désigne l’inévitable portrait
christique du
Che placardé au mur en affirmant : « - Che No… !
JESUS…Si ! » Nouvel épanchement bruyant de satisfaction.
Entre
alors une jeune femme d’une trentaine d’années maxi, petite et plutôt
maigrelette. Je comprends que c’est une voisine amie. Témoins de ces
mutuelles confirmations religieuses, elle me donne une image pieuse :
J’offre
à chacun et chacune une précieuse savonnette (… produit très rare à Cuba).
On me propose et j’achète un exemplaire du collier local « qui donne le
bonheur à celui qui le porte ».Je me demande depuis s’il n’aurait
pas, surtout porté par un touriste, une signification « plus si affinité ».
Je termine mon café, je fais la bise à la mama et je sors.
La
petite ne me quitte plus et commente, en espagnol, toutes les splendeurs du
quartier. La concentration en est exceptionnelle mais nettement polluée par les
excès de la propagande. Il y a des héros partout… Des moustachus en beaux
habits (… ceux des guerres d’indépendance contre l’Espagne), des barbus
(… ceux de la révolution), et du Che en surabondance. Nettement gonflant, le
parti !
Croisant
notre groupe resté sous la vigilance officielle de notre Romélio, je présente
« … my wife ! » à ma guide spontanée. Le contact est
chaleureux avec échange de bises.
On
arrive ainsi à un musée dominé par une tour du haut de laquelle se découvre
toute la ville.
Blessée
aux deux genoux, ma Suzon ne peut pas gravir l’escalier. J’attaque la
grimpette, mon guide me montrant la route, mais pas seulement. L’escalier à
claire-voie était aussi pentu que la jupette était courte. Mais elles le sont
toutes dans ce pays de fortes chaleurs pas uniquement climatiques. La terrasse
atteinte, j’admire le paysage, topographique et plus anatomique. Elle me
propose : « - A kiss… ? » A court de vocabulaire sur un
terrain aussi délicat, je lui réponds « - No… C’est trop grave ».
Elle ne comprend que la négation et boude vers le paysage.
Quelques
trottoirs plus loin, nous croisons un touriste, au moins de mon âge, nettement
plus ventripotent ce qui n’est pas peu dire, et barbu. Le prestige du guérillero.
Il ne lui manque que la mitraillette. Elle le connaît manifestement et se
dirige dare-dare avec lui vers ce qu’elle m’avait désigné comme « sa
maison ». Effectivement à côté du salon de massage, du café amical, du
musée de l’évéché défunt, du logement de M. le Curé, de l’église de
la SAINTE TRINITE avec l’auto neuve en vitrine.
Sur
de nombreuses portes de logements une petite affiche discrète format ½ A4 a été
probablement produite par l’imprimante du curé. Elle évoque la Sublime
Nativité, Noël sans cesse à incarner et l’année eucharistique à laquelle
nous convie notre bien aimant et bien-aimé JP II.
Dans
ma paroisse, un « tableau » des « tours » en vue de
l’adoration perpétuelle vient d’être lancé. « Une chef »
locale m’avait contacté avant mon départ pour convenir de « ma case ».
J’y suis quasiment tous les jours ouvrables, depuis une vingtaine d’années,
mais librement, par amour et sans case. Dans la clandestinité quoi ! En me
forçant à peine pour la provocation, je crains le retour des cartes de messe
avec signature d’une autorité. Je proposerai mes imprimantes pour des belles
cartes de confession en couleur…
Je
pense alors à Marie-Madeleine, la « madame Claude » contemporaine
de JESUS et qui devint une des « saintes femmes ». Je pense à cette
prostituée qui figure dans la généalogie humaine de JESUS. Je pense à cette
demoiselle des trottoirs chauds de Lyon, attributaire de charismes tellement dérangeants
que « les dames bien » de son groupe de prière vinrent s’en
indigner auprès du Père VERLINDE ( Joseph-Marie en religion ). Je pense à
« mon New » pour qui l’authenticité des charismes est nécessairement
soumise au discernement de l’autorité écclésiale. Je pense aussi à sa
voiture neuve et à son expatriation certainement douloureuse, au moins par l’éloignement
de sa mère…
Je
pense à l’évangélisation si difficile quand l’Amour est si simple.
Pourquoi ?
Elle
s’appelait « Juanita ». Peut-être se souviendra-t-elle de Suzon
et Daniel. A vrai dire, j’en doute…
DANIEL-KOKA.
Il y a deux classes distinctes d'hommes dans la nation:
Ceux qui paient des impôts et ceux qui en vivent.
(Thomas PAINE)