TELESCOPAGES CUBAINS (1)

 

 

 

Il naquit pendant la deuxième. Je parle des guerres mondiales, la troisième étant en cours sous une forme inattendue cependant largement prophétisée. Il nous expliqua que sa mère, grande admiratrice de l’opposition courageuse du Maréchal Rommel à Hitler, le prénomma Romélio. Professeur de français et de philosophie (… marxiste évidemment) à l’université de La Havane, il tente de maintenir sa famille à flot en étant guide touristique officiel. Evidemment mandaté par le parti et probablement sous contrôle étroit malgré une belle liberté de pensée fondée sur une large culture. La ligne rouge, comme il se doit, fut souvent tangentée, chatouillée, mais respectée avec une finesse, une prudence et un humour qui forçèrent notre admiration.

 

Les Cubains sont un très grand peuple. Il m’a convaincu que Karl à la mode popoff ne fut pour eux que la solution du désespoir imposée par une autre variante de la connerie ambiante et planétaire.

Beaucoup des versants admirables de cette terre, de son histoire et de son peuple nous furent présentés avec un amour et une compétence que nous ne connaissons plus chez nous. Mais les zones d’ombre qui s’étendent, malgré le silence de notre guide, ne pouvaient pas échapper à une observation même superficielle.

La chasse au dollar, la cohabitation de deux mondes ainsi générée sur une terre asphyxiée par un blocus à vrai dire indigne d’un peuple chrétien, développent une paranoïa littéralement suicidaire. Et aussi bien sûr, les tristes dérives avilissantes et inévitables de la misère.

« Godaillant » dans le quartier historique de Trinidad, je contemple la façade de l’église principale, dédiée à la Ste TRINITE comme il se doit.

 

La croix qui jadis dominait la place n’existe plus. Elle a été remplacée par l’étoile de la révolution. L’église est fermée. Comme chez nous le plus souvent, JESUS est en cage, protégé des ardeurs d’une ferveur populaire possiblement irrespectueuse. Les grilles sont soigneusement cadenassées pour protéger une voiture modeste en cylindrée et gabarit, mais neuve, ce qui est rarissime dans ce pays. Je me renseigne… Il s’agit de la voiture de M. le Curé local. Il y a très peu, je félicitais « mon New » pour la belle jeunesse de sa nouvelle. Je parle automobile évidemment et très limitativement. Comme il n’est pas familier de nos us et coutumes, je lui avais indiqué que, chez nous, ce genre d’événement s’arrosait avec les copains. Je suis resté sur ma soif d’amitié. Peut-être ai-je été irrespectueux… !

Je déambule lentement en admirant les façades, à l’ombre car ça cogne. Une fois de plus, une grande affiche pour touriste annonce un salon de massage. Les tarifs et la durée des soins proposés indiquent une probable parenté thaïlandaise. A la porte suivante, un jeune de mon âge me fait signe d’entrer avec une insistance amicale. Ma prudence cède quand j’aperçois son épouse qui nettoie le carrelage de la salle. Non, ça n’est pas une annexe du salon de massage, ou alors, faudrait être maso… ! On m’offre gentiment un siège au frais et on partage un peu de café cubain. Il ne parle pas un mot de français et je ne connais rien à l’espagnol. La conversation s’engage sportivement dans une sorte de sabir mi-hispano-british pour lui et mi-franco-british de mon côté, à grand renfort de gestes.

Je remarque des éléments religieux dans la modeste décoration locale. J’extrais alors ma grosse croix pectorale. Elle me vaut une vigoureuse accolade suivie de la poignée de main façon « guerilleros ». Je désigne l’inévitable  portrait  christique  du  Che placardé au mur en affirmant : «  - Che No… !  JESUS…Si ! » Nouvel épanchement bruyant de satisfaction.

 

Entre alors une jeune femme d’une trentaine d’années maxi, petite et plutôt maigrelette. Je comprends que c’est une voisine amie. Témoins de ces mutuelles confirmations religieuses, elle me donne une image pieuse :

J’offre à chacun et chacune une précieuse savonnette (… produit très rare à Cuba). On me propose et j’achète un exemplaire du collier local « qui donne le bonheur à celui qui le porte ».Je me demande depuis s’il n’aurait pas, surtout porté par un touriste, une signification « plus si affinité ». Je termine mon café, je fais la bise à la mama et je sors.

 

La petite ne me quitte plus et commente, en espagnol, toutes les splendeurs du quartier. La concentration en est exceptionnelle mais nettement polluée par les excès de la propagande. Il y a des héros partout… Des moustachus en beaux habits (… ceux des guerres d’indépendance contre l’Espagne), des barbus (… ceux de la révolution), et du Che en surabondance. Nettement gonflant, le parti !

Croisant notre groupe resté sous la vigilance officielle de notre Romélio, je présente « … my wife ! » à ma guide spontanée. Le contact est chaleureux avec échange de bises.

 

On arrive ainsi à un musée dominé par une tour du haut de laquelle se découvre toute la ville.

 

Blessée aux deux genoux, ma Suzon ne peut pas gravir l’escalier. J’attaque la grimpette, mon guide me montrant la route, mais pas seulement. L’escalier à claire-voie était aussi pentu que la jupette était courte. Mais elles le sont toutes dans ce pays de fortes chaleurs pas uniquement climatiques. La terrasse atteinte, j’admire le paysage, topographique et plus anatomique. Elle me propose : « - A kiss… ? » A court de vocabulaire sur un terrain aussi délicat, je lui réponds «  - No… C’est trop grave ». Elle ne comprend que la négation et boude vers le paysage. Je pense alors à Zorba le Grec et à la forme d’insulte qui y est dénoncée. Du haut des crénaux, je fais signe à Suzon qui est dans la cour en bas. Je dis à la petite : « A kiss… Si ! » Immédiatement son visage s’illumine. Je pose sur ses lèvres le bisou léger que mes filles me rendront peut-être à l’heure de mon grand départ. Et j’attaque la descente.

 

Quelques trottoirs plus loin, nous croisons un touriste, au moins de mon âge, nettement plus ventripotent ce qui n’est pas peu dire, et barbu. Le prestige du guérillero. Il ne lui manque que la mitraillette. Elle le connaît manifestement et se dirige dare-dare avec lui vers ce qu’elle m’avait désigné comme « sa maison ». Effectivement à côté du salon de massage, du café amical, du musée de l’évéché défunt, du logement de M. le Curé, de l’église de la SAINTE TRINITE avec l’auto neuve en vitrine.

 

Sur de nombreuses portes de logements une petite affiche discrète format ½ A4 a été probablement produite par l’imprimante du curé. Elle évoque la Sublime Nativité, Noël sans cesse à incarner et l’année eucharistique à laquelle nous convie notre bien aimant et bien-aimé JP II.

 

Dans ma paroisse, un « tableau » des « tours » en vue de l’adoration perpétuelle vient d’être lancé. « Une chef » locale m’avait contacté avant mon départ pour convenir de « ma case ». J’y suis quasiment tous les jours ouvrables, depuis une vingtaine d’années, mais librement, par amour et sans case. Dans la clandestinité quoi ! En me forçant à peine pour la provocation, je crains le retour des cartes de messe avec signature d’une autorité. Je proposerai mes imprimantes pour des belles cartes de confession en couleur…

 

Je pense alors à Marie-Madeleine, la « madame Claude » contemporaine de JESUS et qui devint une des « saintes femmes ». Je pense à cette prostituée qui figure dans la généalogie humaine de JESUS. Je pense à cette demoiselle des trottoirs chauds de Lyon, attributaire de charismes tellement dérangeants que « les dames bien » de son groupe de prière vinrent s’en indigner auprès du Père VERLINDE ( Joseph-Marie en religion ). Je pense à « mon New » pour qui l’authenticité des charismes est nécessairement soumise au discernement de l’autorité écclésiale. Je pense aussi à sa voiture neuve et à son expatriation certainement douloureuse, au moins par l’éloignement de sa mère…

 

Je pense à l’évangélisation si difficile quand l’Amour est si simple. Pourquoi ?

 

Elle s’appelait « Juanita ». Peut-être se souviendra-t-elle de Suzon et Daniel. A vrai dire, j’en doute…

 

 

DANIEL-KOKA.

Il y a deux classes distinctes d'hommes dans la nation:

Ceux qui paient des impôts et ceux qui en vivent.

(Thomas PAINE)

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