SAINTS ANONYMES  (5)

 

 

 

SAINT  AUREL.

 

 

 

J’ai fait la connaissance d’AUREL sur la fin des années 90 lors d’un voyage en Roumanie. J’y pilotais un groupe d’ados, gars et filles, à l’occasion d’un jumelage avec une paroisse gréco-catholique dans une vallée perdue des Carpates. Ce pays ami sortait à peine du barbarisme institué par Ceausescu. La loi de réconciliation avec l’Eglise catholique persécutée venait d’être promulguée. Ce peuple commençait alors sa sortie d’une misère noire, vécue cependant avec une grande dignité, sur un fondement culturel chrétien admirable. J’ai découvert quelle fut la vie de Saint AUREL. Elle mérite un roman ou un grand film. Je résume :

- Enseignant en faculté, il subit de fortes pressions lors de l’arrivée du marxisme au pouvoir. L’Eglise Orthodoxe locale avait souscrit une sorte de « pacte d’agression limitée » avec les autorités politiques et il était ainsi devenu obligatoire de rejoindre l’orthodoxie sous peine de persécutions. Un prof de faculté devant donner le bon exemple aux futurs jeunes cadres du parti et de l’état, on comprend pourquoi il fut la cible d’attentions très convaincantes. A la même époque, tous les évêques catholiques furent massacrés plus ou moins sauvagement, (… dans le silence de nos médias franchouillardes). AUREL refuse alors cette forme d’abdication de sa foi devant le pouvoir politique. Quelques-uns de ses élèves l’accompagnent dans ce refus obstiné. Évidemment, le pouvoir perçoit ce témoignage comme une provocation.

- Ils se retrouvent tous dans la prison de SIGHET qui à l’époque était une sorte de mouroir silencieux réservé aux « intellos » réfractaires, toutes tendances confondues. La plus part des évêques catholiques  Roumains y moururent d’épuisement, de mauvais traitements et de sous-alimentation. Un « service de nettoyage » passait chaque matin identifier les cadavres, les enlevait, les chargeait sur une bétaillère et allait les jeter dans une sorte de fosse commune hors de la ville, très proche de la frontière avec l’Ukraine. Ce champ est devenu le « champ des morts ». Il est maintenant clos et pourvu d’une sorte de promontoire au bord de la route. Toutes les familles de la région viennent y vénérer celui des leurs dont les restes gisent ici, sans pouvoir identifier où, dans cet étendue d’un ou deux hectares.

- Il faut rappeler que cette région frontalière, très montagneuse, dite « du MARAMURES », n’a jamais été totalement soumise  au pouvoir communiste. Les maquisards, aidés par un environnement naturel qu’ils connaissaient bien, y ont rapidement adopté une résistance pas toujours passive, mais surtout insultante pour le pouvoir central. Lequel tenait les vallées et les agglomérations, mais pas la montagne, ni les  vallées perdues et les forêts peuplées d’ours et de loups.

- AUREL survécut à ce premier mouroir. Il est probable que sa survie obstinée devint gênante. Il fut éloigné et  déplacé dans un camp d’extermination par le travail forcé. La densité de cette sorte d’établissement sur le territoire Roumain était sidérante. J’ai contemplé une carte récente qui les inventorie… c’était littéralement un enfer… une horreur ! Et tout cela dans nos années 70 à 90, quand la France jouait les « aveugles-sourds et muets » dans des tonalités fortement teintées en rose.

- Dans ce camp, AUREL résiste… Il s’obstine à ne pas vouloir crever comme un esclave. Il prie… DIEU le réconforte en direct par des interventions personnelles d’ordre mystique. Et le temps passe, à l’exaspération de ses bourreaux qui n’y comprennent rien. Quelle force le fait survivre… ?

- La situation politique mondiale évoluant, Ceausescu tente le sauvetage impossible de son régime par des formes de cinéma destinées aux médias mondiales, sur le thème « … je suis fréquentable… je ne suis pas le barbare obscurantiste  que vous croyez… ma chère épouse est d’ailleurs une haute autorité intellectuelle de notre belle nation… » Pour contrarier les tristes rigolades induites par ces refrains, il ferme beaucoup de ces camps de la mort, et libère des prisonniers, mais en leur extorquant des ralliements plus ou moins tapageurs au profit du régime. Les autres puissances communistes de l’époque identifient clairement son jeu de chantage en forme de girouette au plan international. Notre République restant aveuglée par son idéologie dominante teintée en rose, prend des positions complaisantes qui me font honte.  Le petit peuple Roumain n’est pas dupe car rien ne change dans les relations quotidiennes avec le KGB local et les tenants du pouvoir.

- AUREL est évidemment  sollicité avec insistance dans cette logique. Mais il refuse en affirmant que sa libération ne serait admissible que si on le laissait pratiquer librement sa foi Gréco-Catholique. Cette condition restait évidemment inadmissible, tant pour le régime politique, que pour l’église orthodoxe locale, trop souvent informatrice  efficace et intéressée de la police. L’Eglise catholique restait interdite, persécutée et quasiment inexistante… AUREL voit bien que ce régime va à la déconfiture. Mais lui-même est physiquement très affaibli… Tiendra-t-il le temps nécessaire ?

- Arrive la chute du dictateur et la promotion de tous ses soutiens subalternes dans un état qui s’affirme renouvelé, avide de se reconstruire une image admissible pour l’opinion mondiale, mais qui reste inévitablement prisonnier des structures existantes et de la culture marxiste qui l’imbibe.

- Gravement cardiaque et affaibli, AUREL rentre enfin  chez lui dès que l’Eglise Gréco-Catholique se voit rétablie dans sa légitimité publique. Comme elle doit entièrement se reconstruire, il lui faut des prêtres. Répondant à la « petite annonce » d’un journal, son fils entreprend une formation par correspondance, évidemment complétée par quelques stages. Il est journaliste, marié à une prof de math et il devient le curé de sa vallée des montagnes du MARAMURES. C’est chez  lui que je débarque un soir,  avec mes jeunes, après un très long voyage aventureux. 

- Il convenait évidemment de présenter l’histoire récente de ce peuple à nos jeunes. Sur la même journée fut donc programmée – La visite du mouroir de SIGHET. Il est devenu un musée à la mémoire de tous les martyrs locaux (… le « cintré » que je suis a dû écourter son séjour dans cet enfer devenu musé. La mort y hurlait… !) – Un pèlerinage respectueux au « champ des morts » - Et enfin une visite à AUREL et son épouse, en leur petit appartement dans sa ville universitaire voisine.

- Nos jeunes sont profondément émus par la mémoire de toutes ces horreurs. Mais ce qui les bouleverse le plus est leur conversation toute simple  avec AUREL, devant un verre d’orangeade comme apéro. L’un d’eux le questionne sur son retour à une vie sociale normale, en liberté, dans les rues et chez lui, sans surveillance policière bien pesante. Je transpose à peine sa réponse :

- … je fais des promenades tranquilles et je suis en paix… il m’arrive parfois de rencontrer mes anciens bourreaux, je leur tends la main, car je leur ai pardonnéCe qui me fait le plus mal, c’est qu’ils refusent ma main tendue… ils me fuient…

 

Ils en furent tous « babas »… !

 

PERE pardonne-leur… ils ne savent pas ce qu’ils font…

 

Sa famille, et ses amis célébraient il y a peu le 10e anniversaire de son passage vers « Le Royaume ».  Ils n’ont pas oublié leurs amis en France… Merci…

 Saint AUREL, ORA RO NOBIS…

 

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DANIEL KOKA.