REDEMPTION  (2)

 

 

LA PEUR. 

 

La peur, je l'ai souvent évoquée dans nos CATHO-GRATOUILLES. Peur du péché, peur de la damnation,  peur du regard des autres, peur de l'excommunion en ses multiples formes actuelles, peur de demain, et si souvent aussi peur de soi-même... 

Où s'enracinent-elles,  toutes ces peurs ?

 

 A.-DIVAGATIONS ANTHROPOLOGIQUES...

Yves COPPENS et ses nombreux élèves démontrent que le singe est le lointain ancêtre de l'homme. Aussi Chrétien que je sois, et ainsi fervent admirateur et gros consommateur des textes bibliques, cette démarche de notre science actuelle  ne me semble aucunement contradictoire avec le sens profond des vérités spirituelles que la Bible veut nous communiquer. Le chaînon manquant reste cependant absent  je crois, et les écarts sur les datations demeurent très contoversés. Peu m'importe...

Car la question de la frontière d'ordre spirituel, entre "l'espèce pithèque" et "l'espèce homo", voilà la seule question véritablement importante. Les expérimentations astucieuses et convaincantes des éthologues concernant les formes d'intelligence animales sont  passionnantes. Elles nous démontrent que l'intelligence n'est pas l'apanage de notre espèce, qu'elle est largement partagée, qu'elle est multiforme chaque espèce ayant ses propres codes. Mais confondre l'intelligence, les facultés cognitives, avec la spiritualité - avec la faculté de conscience de soi dans le fleuve du temps - me semble une des tendances perfides actuelles les plus dommageables. Elle conduit à relativiser l'espèce humaine pour la placer au même niveau que n'importe quel autre animal. Les animaux qu'avec nos codes culturels humains nous identifions comme les plus intelligents ont-ils conscience de la mort ? Ont-ils conscience de leur propre finitude ? Si cette conscience est parfois affleurante ne serait-ce que par instinct de conservation, perçoivent-ils la nécessité d'une organisation sociale évolutive pour s'en protéger ? Perçoivent-ils l'éternité sous-jacente à cette finitude ? Tout ce qui nous est donné d'observer porte à répondre non,  au moins aux dernières questions.

 

René GIRARD  apporte me semble-t-il la réponse actuelle la plus crédible quant au passage  - à la mutation - de l'espèce pithèque à l'espèce homo. 

Il situe la naissance de toute civilisation au moment où un singe (... seul ou à plusieurs ?) prit conscience du scandale de la mort donnée à un semblable, mais aussi du devoir pour chacun de se protéger du risque de la recevoir de ce même semblable. Une organisation sociale perçue initialement comme utile et nécessaire, car vitale, et fondée sur la survivance des individus, donc de l'espèce, devenait indispensable. Elle commença immédiatement à se construire, par tâtonnements, par expériences souvent douloureuses. A cet instant,  probablement pas ponctuel ni dans  l'Histoire ni dans l'espace, la civilisation humaine entrait en autoconstruction, sur des modes différents et  multiformes, mais tendue vers un objectif unique : "Plus de sécurité dans la vie quotidienne pour assurer la survie de l'espèce".

Le très long combat du recul de toutes les puissances de mort s'était ainsi initié, même si ses initiateurs ne le firent que face à des nécessitées très immédiates et dans des conditions de vie infiniment plus précaires que les nôtres. De très nombreux siècles plus tard, le concept de "Bien Commun" s'en dégagea, mais dès la mutation du singe à l'homme, c'était bien ce tenseur qui agissait.

La question "Qui nous a dotés de ce tenseur", commun à toute l'espèce humaine, appelle une réponse évidente et immuable pour moi.

 

Les premiers prêtres furent les sorciers, les chammans, les druides et tant d'autres. L'organisation des groupes humains gagna en complexité, avec les chefs de famille... les chefs de clan... de tribu, de peuple entiers avec des rois et des empereurs. Il était normal, et efficace à tous égards, que les autorités temporelles et religieuses se soutiennent mutuellement. Le but poursuivi restant le bien commun à tous - le "Plus de sécurité dans la vie quotidienne" de chacun - quel que soit son rang social. Et l'Histoire nous démontre que cette trajectoire a été globalement fructueuse, pratiquement partout sur la planète, malgré les nombreuses séquences de tortionnaires mégalomanes, tant dans la société civile que dans les sphères religieuses.

 

B.- DIVAGATIONS GEO-POLITIQUES.

Mais partout aussi avec le prix du sang nécessairement versé. Car ultimement, cette finalité de la sécurité maintenue postule l'existence de menaces, le plus souvent  pas imaginaires. Le progrès  de l'espèce "plus pithèque et déjà homo" à l'espèce humaine actuelle ne saurait être nié. Ou alors seulement par des rêveurs... Mais il s'est construit par des successions de crises tant internes qu'entre  groupes voisins. Ce furent des procès, des condamnations, des émeutes et des révolutions dans un cas. Des guerres dans l'autre. Dans ce processus, perçu comme inévitable jusqu'au CHRIST JESUS, (... voire nécessaire au progrès, par certains, encore à notre époque), René GIRARD identifie le rôle central du BOUC EMISSAIRE. 

C'est le voisin dont les prétendues turpitudes nous aident à supporter ou masquer les nôtres. C'est la ville d'à côté à laquelle il est si agréable de coller une trempe sur le terrain de foot... Dame, on se sent plus fort ! C'est le pays voisin qui gène nos appétits de territoire ou de commerce. C'est celui qui n'a pas la même peau que vous et moi...

Peu importe qu'il soit réellement coupable. Il nous rend le service de cristalliser nos haines, nos rancoeurs et nos faiblesses. Il transforme nos misères individuelles en dynamisme collectif, même suicidaire parfois. Ultimement dans les cas graves, il faut qu'il meure et on se refuse à réfléchir à la réalité des griefs qui lui sont imputés.

Ces déséquilibres pervers sont le fond de commerce de MACHIAVEL. Le dicton "diviser pour régner" y trouve sa confirmation et ils sont rares dans l'Histoire, ceux qui appliquèrent la technique inverse : "Unir pour régner". Le plus souvent, pour résoudre un problème, il est tellement plus aisé de désigner le postulé responsable d'une désunion que de traiter le problème à sa racine réelle. 

Ainsi les boucs émissaires trinquent-ils depuis la nuit des temps, même s'il n'y sont pour rien, et surtout s'ils avaient raison face au progrès attendu par tous.

 

Au fond, tant que chaque nation, chaque race, jardinait plus ou moins paisiblement sur des territoires relativement clos, le progrès général de la planète montre un bilan globalement positif pour l'humanité. Je sais en écrivant ça, que des peuples entiers ont été emportés dans ce mouvement. Que des civilisations parfois splendides ont été broyées. Que ce progrès fut payé par des fleuves de sang, des fleuves d'intelligence, et des fleuves de générosité tellement mélés qu'il est impossible d'y faire la part du bien et du mal. Seul le résultat global est là. Et à notre époque c'est seulement un héritage pour chacun d'entre nous. Cessons de pleurer car ça ne sert à rien. Veillons à être toujours plus humain et si possible jamais barbare. Toujours plus "Homo", et de moins en moins "Pithèque". Les frontières, les Etats, les monarques, les énarques, tout cela ne reposait que sur des territoires où s'inscrivaient à la fois des intérêts communs, et des peurs communes.

Ce fut la convergence réelle et nécessaire des intérêts, avec à la base la nécessité de survivre, au sein d'une même communauté de territoires donc de races, qui légitimait les violences dans les limites du droit, pour répondre à la peur de perdre. Perdre ses sous, perdre sa tranquillité, perdre sa vie...

Pour tous les politiques, tant civils que religieux, il était nécessaire d'entretenir la peur comme tenseur caché mais efficace. Et quand les dangers n'étaient plus suffisamment perçus, il devenait de bonne stratégie politique d'en inventer, voire d'en susciter.

 

Depuis l'invention de la machine à vapeur, puis des transport rapides, puis du transport instantané des informations, de la pensée, du mode vie des autres, un formidable brassage culturel s'est initié. C'est le grand mérite de notre belle France d'avoir puissamment contribué à cette évolution par ses philosophes, ses grands ingénieurs et scientifiques,  par les mutations généralement prohètiques de ses systèmes de gouvernance politique.

Avec les deux explosions que subirent, par la folie de leurs dirigeants, les petits du peuple Japonais à NAGASAKI et HIROSHIMA, la peur, en tant qu'outil de pouvoir politique, a brutalement changé de registre. Elle est devenue commune.  Elle a largement dépassé le cadre des frontières d'Etat.  Toute l'humanité s'est maintenant appropriée la même peur suprême qui relativise toutes les autres et incite fortement à la modération, à la discussion, et au rapprochement des sagesses communes aux cultures. Toute l'espèce humaine sait dorénavant que l'aventure d'une guerre nucléaire marquerait la fin quasi certaine de notre espèce, ou au moins sa dégénérescence inéluctable et rapide. 

C. ET LA REDEMPTION...?

René GIRARD propose un "fil rouge" inhabituel et dérangeant, dans  la lecture des Ecritures. Il identifie le rôle central du bouc émissaire dans l'évolution de toutes les cultures - spécialement dans la Bible. Il affirme qu'une des constantes du Grand Livre sacré est d'exprimer le refus de DIEU face à toute mort humaine. En sa Crucifixion, JESUS,  le Verbe divin incarné, s'offre ainsi comme  "Bouc émissaire" total et définitif le vendredi. Et "Sa" résurrection 3 jours après, proclame  que DIEU a payé, totalement et définitivement à SATAN, le coût de toute mort, pour tous les temps. L'humanité entière est ainsi invitée à entrer, enfin, dans une logique de vie définitive et éternelle, déjà présente pour chacun,  par le pardon accordé en réponse à seulement un peu d'amour.

 

C'est très, très dérangeant pour tous ceux qui persistent à faire de la peur la principale composante de leur pouvoir. Malgré le célèbre "... n'ayez pas peur de JP II", ils restent très nombreux chez les religieux et pas seulement à l'ombre des minarets. A l'heure des armes atomiques, et aussi consolante que fut la période de paix très relative connue surtout par les pays dotés de cette arme, la collusion entre le sabre et le goupillon est devenue planétairement une aberration suicidaire. Il est de plus en plus urgent d'inventer une autre logique que le célèbre " ... Si tu veux la paix, prépare la guerre". L'équilibre de la terreur au temps des arbalètes a imposé des structures de pouvoir qui deviennent de moins en moins adaptées au problème collectif qui demeure inchangé :"Plus de sécurité dans la vie quotidienne, et pour toute la famille humaine"

Seule, la réponse du CHRIST JESUS, ouvre une route possible. Elle est faite d'amour et de pardon en son nom. Mais sans faiblesse qui encouragerait les appétits prédateurs. Elle  n'a jamais eu autant d'urgence. Elle ne montre sa pertinence et sa fécondité que dans l'évidence intime, et jamais  totale, de la présence de JESUS réssuscité en chacune de nos vies. A chaque seconde de notre liberté. 

Face à la montée en puissance de forces maléfiques, les divisions dans lesquelles les Chrétiens de toutes chapelles semblent se complaire, mutilent  leur  union profonde face à la splendeur de la Croix, suivie du matin de Pâques. Donnant ce triste spectacle de luttes de territoires spirituels, ils ne sont pas crédibles dans leur témoignage. Ils cautionnent les nombreux nostalgiques des si faciles  boucs émissaires d'antan. Ils rendent dangereusement vaine, au plan collectif et international surtout, la Croix du CHRIST. Soyons assurés que JESUS s'en désole et que devant l'ampleur du danger, nos pauvres justificatifs théologiques font figure de chamailleries dans la cour d'une maternelle.

 

Evidemment "l'Esprit-Saint" travaille... Il suscite une prise de conscience de plus en plus planétaire. Il suscite l'émergence de modes de pensée qui s'unifient souvent par le haut, au moins par cette évidence de la nécessité d'une paix intelligente qui ne soit pas celle des cimetières. C'est aussi ça la mondialisation, par la télé, par Internet, par les distances qui s'abolissent grace à la vitesse croissante des moyens de transport.

La montée de l'individualisme forcené  ne doit pas masquer la croissance d'une exigence de réelle subsidiarité. Elle deviendra de plus en plus planétaire, ne serait-ce que par le fossé qui se creuse entre des fortunes immenses et des océans de pauvreté. L'isolement et le rejet des totalitarismes et des dictateurs en est un premier signe positif, même s'il reste encore timide. Le "droit d'ingérence" courageusement proclamé par JP II va dans le même sens. La conscience profonde des peuples se réveille. Leurs gouvernances deviennent chaque jour moins évidentes...

Celle du Peuple Chrétien reste tristement anesthésiée.  Un océan de bonne volonté   masque de moins en moins une volonté farouche de concerver à un pouvoir nécessaire une expression, et une mise en oeuvre, auquel de moins en moins de nos contemporains admettent d'adhérer. 

 

Ayons la lucidité d'identifier dans nos liturgies, dans nos enseignements et surtout dans nos comportements quotidiens, toutes les traces de la pédagogie de la peur. De nombreux chrétiens sont franchement et joyeusement du matin de Pâques. Trop d'autres, sans même s'en rendre compte et avec un triste mélange d'obstination et de bonne conscience en restent au Vendredi Saint. C'est Saint Augustin  me semble-t-il qui dénonçait l'erreur majeure consistant à "rendre vaine la Croix du CHRIST".

 

DANIEL-KOKA