CHRETIENS DU XXIe
(2)
René
GIRARD est anthropologue. Il est aussi philologue. Sa recherche l’a amené à
situer plus précisément le passage du singe à l’homme, donc du
« pithèque » au « sapiens ». En cela il devint un précieux compagnon
de Yves COPPENS sur la route de
Il
affirme que la naissance de la civilisation – le basculement de l’être singe
vers l’espèce homo – intervient au moment où pour la première fois un singe
prit conscience du scandale face à la mort donnée ou reçue d’un semblable.
Scandale certes, mais mort le plus souvent nécessaire pour cause de défense du
territoire, ou plus simplement de notre propre existence.
Des
règles deviennent alors nécessaires pour codifier et réguler toutes les formes
de conflit. Le règne des chefs et sorciers commence, avec la tradition d’une
expérience sans cesse enrichie pour justifier la validité de ces règles, tant
individuelles que collectives, civiles que religieuses.
Cette
mort que chacun sait inéluctable, pose toujours ses questions, même refoulées
au plus profond de l’être. A y regarder de plus
près, les réponses apportées
conditionnent le dynamisme vital de tout individu, de tout groupe, de toute
nation, de toute civilisation.
De
nombreuses civilisations se sont succédées, toutes sous-tendues par le même
file rouge. Toujours, ce furent le
« Prêtre » et « le Prince »(...
pas toujours d’accord), qui édictaient les lois, veillaient à leur cohérence et
à leur observance. Par la force si nécessaire. Initiée par l’alliance du
sorcier et du chef de clan, celle du sabre et du goupillon n’est pas née au 19e
siècle comme le font entendre les militants "laïcarts" (... à ne pas
confondre avec les tenants d'une saine et paisible laïcité).
PASCAL
a clairement identifié que « … ne pouvant
pas faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste
d’obéir à
Pour
le petit peuple, le prix d’une sécurité - espérée au moins relative - a
toujours été l’abdication d’une bonne part de sa liberté - et de ses revenus -
au profit de rois, de la religion officielle et des hommes d’arme. Chacun
savait que le prix de la désobéissance, individuelle ou collective, pouvait
conduire à
Dans
ce long processus, René GIRARD identifie le rôle régulateur du « Bouc Emissaire ». Quand rien ne va
plus, il devient urgent de trouver un responsable autour duquel vont
cristalliser toutes les rancoeurs. Qu’il soit coupable ou innocent n’importe
absolument pas : Là n’est plus
Puis
survint ABRAHAM dans l’Histoire des hommes.
Il fut le premier à oser affirmer que « DIEU est nécessairement UN ».
Pareille affirmation dans un monde où toutes les autorités, politiques et
religieuses, appliquaient le concept de divinité à la vaste diversité de leurs
ambitions demandait un courage remarquable. Son affirmation lui valut l’exil et
le bannissement.
Ce fut ABRAHAM qui illustra le souhait divin de voir
cesser les sacrifices humains. La scène du sacrifice d’ISAAC porte aussi ce
sens devant l’Histoire. Relié à sa théorie du « Bouc Emissaire »
comme le fait René GIRARD, cette prophétie de la Passion du CHRIST prend une
signification politique universelle plus forte que celle des cathés de notre
jeunesse.
C’est DIEU qui ne cesse d’affirmer tout au long de
l’Histoire que la mort de tout être humain est un scandale. C’est DIEU qui
depuis la nuit des temps alimente la lente émergence de la conscience de ce
scandale face au libre agir qui fait la dignité de notre espèce. C’est DIEU
finalement qui vient Lui-même en un corps comme le nôtre proclamer du haut de
sa Croix, supplice le plus infâme de son temps, combien Il souhaite que cesse
le carnage des « Boucs Emissaires », par simple respect d’une vie
qu’il démontre éternelle et déjà commencée, pour chacun d’entre nous. Seulement
si nous le voulons bien.
Vingt siècles après cette révélation glorieuse, il est
évident que nous l’avons largement instrumentalisée, toujours au profit du
mécanisme initial de pouvoir et de défense de nos divers territoires.
Nous restons très largement des
« pithèques » dès que nos pensées, nos corps, nos biens, notre clan
ou notre patrie sont agressés. A tort ou à raison. La pédagogie de la peur y veille soigneusement. Avec
beaucoup plus de subtilité chez les autorités religieuses que chez leurs
homologues politiques du civil.
A l’aube de ce XXIe siècle, après les carnages du XXe,
avec tant de champignons nucléaires suspendus au-dessus de nos têtes, alors que
des fous invoquent DIEU pour assassiner, prétendant conquérir ainsi les
cervelles de l’humanité entière… à l’aube de ce XXIe saurons nous trouver les
voies de la sagesse ?
Après
ce XXe siècle où des évêques bénirent les armes, de part et d’autre des deux
grands conflits planétaires, les chrétiens sauront-ils se souvenir qu’au-delà
de tous les « ismes » nous sommes tous les
petits frères ou petites sœurs de l’humble Charpentier de Nazareth dont la
présence affectueuse a conduit notre civilisation à l’épanouissement que nous
lui voyons. Malgré nos bêtises… ?
Car
la peur a changé de nature à HIROSHIMA et NAGASAKI. A la peur de « l’autre »,
qui subsiste évidemment, s’ajoute maintenant l’évidence que l’antique solution du « Bouc
Emissaire » conduira inéluctablement à l’apocalypse et à la fin de toute
l’espèce humaine. Il est devenu
impropre de parler de « dissémination » de l’arme nucléaire. « banalisation » serait plus ad hoc.
Longtemps
exclus et exploités, les pauvres du tiers-monde, poussés par des idéologues ni
moins riches ni moins scrupuleux que nos « Princes », détiennent les
mêmes armes et entendent bien le faire savoir. La dissuasion qui a valu une
paix relative à l’occident et aux nations puissantes se heurte à un mur que
seule une gouvernance planétaire de la chose militaire permettrait de franchir.
J’étais
il y a très peu, avec une étroite délégation de techniciens et scientifiques,
autorisé à visiter la base des sous-marins nucléaires Français. J’ai pu admirer
l’une de ces formidables mais terrifiantes machines en préparation de sa très
prochaine mission. J’ai pu apprécier la grande qualité des hommes qui la
pilotent et veillent à sa marche silencieuse, en permanence, quelque part sous
les océans. Comme chacun, j’avais en tête l’effroyable potentiel de destruction
que ces engins véhiculent - de quoi vitrifier, en un seul tir, tout le bassin
parisien jusqu’à la Manche… Chez les autres, pas chez nous dit-on. Mais ces
autres, capables de la même puissance, sont de plus en plus nombreux, et rien
n’interdit de penser que chez nous ou chez eux, un fou trouve utile à sa
paranoïa de désigner encore un «Bouc Emissaire ». Dans cette logique
tragique, la BD des aventures de Blake et Mortimer « Le secret de
l’Espadon », publiée au tout début des années 50, avait quelque chose de
prophétique.
Qu’ils se réclament de la Croix, du Croissant, de Bouddha ou de
Lao-Tseu, il est urgent que les religieux se souviennent que toute religion a
pour fonction de « relier » les hommes entre eux, et si possible
avant leur vitrification. Cette convergence d’action concerne les dirigeants au
premier chef, tous hauts dignitaires confondus.
Jamais la nécessité de ce lien n’a été aussi planétaire.
Jamais elle n’a été aussi urgente. Jamais elle n’a été à ce point possible,
tant dans les esprits que dans les institutions internationales. Jamais le
terrain des âmes n’a été à ce point labouré par les grands religieux, notamment
à ASSISE par notre JP II, mais aussi, sous une autre forme en TURQUIE tout
récemment pas notre BENOIT. Jamais les individus n’ont tant osé marcher
spontanément vers celui d’en face - celui qui ne pense pas forcément comme moi
- pour lui tendre la main, lui donner un sourire. Jamais les populations de la
terre ne se sont à ce point mélangées, découvrant à la fois leurs
incompatibilités, mais aussi leurs similitudes, leurs complémentarités et leurs
espérances communes.
Reste
le comportement de nos « Princes ». Qu’ils soient dans le civil ou
dans le religieux, il est clair que leur premier réflexe, comme venant d’un
instinct de survie au niveau des hommes de pouvoir, est presque toujours celui
de la peur de l’ANPE. Car ces pauvres sont très rarement
« chomedus ».
Il
devient donc urgent d’inventer de nouvelles peurs car il faut justifier,
conforter son rôle de « sauveur ». Les uns parlent de
« Mondialisation », de « Libéralisme » de
« Réchauffement de la planète » ou de « Fracture sociale ».
D’autres parlent à la fois d’ « Oecuménisme » et de
« Syncrétisme » (… j’aime à penser que c’est l’hérésie actuelle
commune à tous les « saints crétins » dans mon genre !), de
« Sainte Tunique du CHRIST » à ne pas déchirer, de
« Dialogues » bien verrouillés d’avance, ou « d’Ouverture »
vers des portes soigneusement filtrées, et de « Remise en marche vers
l’avant » aux ordres de l’adjudant du secteur.
Et
de tout cela il faut parler évidemment. Mais pas pour en avoir peur. Pour
inventer un avenir autre, capable de s’imposer collectivement aux Princes qui détiennent le pouvoir
d’appuyer sur les fameux boutons rouges. Ils deviennent à la fois
dangereusement nombreux et excités.
La
grande et puissante nation qui proclame sur son emblème national « IN GOD
WE TRUST » initia le temps de « La Bombe ». Je ne pense pas que
ce fut pour la gloire de DIEU. Elle est actuellement la seule à pouvoir oser
une initiative généreuse qui tendrait à remettre tous les arsenaux nucléaires
sous l’autorité d’un conseil planétaire de sécurité.
Je
rêve d’un ordre mondial où les armes nucléaires de toutes puissances seraient
aux seuls ordres d’un conseil international de la paix entre les peuples.
Chaque pays conserverait ses propres frontières et ses lois, avec ses gens
d’armes conventionnelles pour y maintenir l’ordre intérieur, et avec
interdiction de s’occuper de ce qui se passe chez le voisin, sous peine d’en
prendre plein la g…
Oui,
je le sais : je suis un naïf !
Des
élections approchent, aux States comme chez nous… « Orate fratres ! »